Aux origines de la fameuse bataille de Poitiers, il y a tout simplement une improbable histoire d’amour entre une princesse chrétienne et un gouverneur berbère. Récit d’une autre version de Roméo et Juliette, qui se passe au Moyen Âge.
Jusqu’à l’adolescence, les songes de Lampégie d’Aquitaine, fille de Eudes, Duc d’Aquitaine et de Vasconie, sont hantés par la vision d’un loup-garou à tête de Maure, qui ressemblait fortement à Munuza. De son côté, Lalla Liemna, la mère de Munuza, une Berbère un brin mystique, était elle aussi prise d’une vision récurrente : Lampégie, encore enfant, âgée d’à peine neuf ans. A croire que ces deux personnages étaient destinés l’un à l’autre. Leur première rencontre n’a pourtant rien d’un rendez-vous romantique. Elle remonte aux alentours de l’An 728, dans la vallée du Sor, à la frontière de l’Aquitaine et de la Narbonnaise. Munuza, alors généralissime-gouverneur de Narbonne, traverse les collines, accompagné de quelques hommes, lorsqu’il s’arrête pour observer, un peu plus loin, le passage d’un cortège où trône un palanquin doré. A l’intérieur, Lampégie d’Aquitaine, en compagnie de sa nourrice et de quelques servantes, qui effectue son pèlerinage annuel vers la grotte de Calel, où se trouve le tombeau d’un illustre ancêtre de sa famille. Par réflexe de protection (ou goût du risque), Hatton, le bien-aimé frère de Lampégie qui accompagne le convoi avec plusieurs gardes, décoche une flèche et tue l’un des meilleurs officiers de Munuza, avant d’en envoyer une autre en direction de ce dernier. L’affront funeste dégénère en bataille, jusqu’à ce que Hatton soit neutralisé par les Berbères et que Munuza aperçoive Lampégie ; un potentiel otage d’une très grande valeur, car bien née et vierge. Pour ne rien gâcher, la jeune princesse est dotée d’une beauté ravageuse, d’un caractère bien trempé et d’un esprit mordant. Le gouverneur maure décide alors d’épargner Hatton et de laisser repartir le convoi, mais en contrepartie, il doit garder la princesse en captivité. « Si le duc son père tient à la retrouver, qu’il nous fasse donc parvenir sous huitaine autant de ces sabots d’or que sa fille compte de printemps », aurait-il prononcé, selon Salah Guemriche, écrivain et ethnologue, dans le livre L’amour en bataille. Malgré le rapt de Lampégie, la caravane chrétienne s’en tire à bon compte. A cette époque, les «Sarrasins» ont pour habitude de régler les conflits en faisant d’énormes razzias. Opportuniste ou déjà touché en plein cœur, Munuza les en empêche. Comme lot de consolation, ils sont autorisés à piquer quelques pièces en or installées sur le palanquin. « Alors, tout alla si vite que Lampégie se vit, en un éclair, arrachée à ses draperies et à ses regimbements de biche affolée (…). Et elle se retrouva sur le dos de Nuage-Numide (le cheval de Munuza), bridée à la taille par le même turban qui servit à garrotter son frère », poursuit Salah Guemriche.
Par Nina Kozlowski
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