L’histoire n’appartient pas au passé, ce n’est pas vrai. C’est un flux ininterrompu qui avance sans discontinuer, ni s’arrêter. L’histoire, nous la portons en nous, au présent. La connaissons-nous ? Nous connaissons-nous ?
Zamane essaie de répondre à ces questions essentielles. Elle le fait en s’appuyant autant que possible sur une équipe de chercheurs et d’experts à la réputation solidement établie. C’est une béquille nécessaire quand on s’aventure, c’est le cas de le dire, dans l’entrelacs et les dédales extraordinairement enchevêtrées de l’histoire. Zamane ne réécrit pas l’histoire. Ce serait prétentieux. Mais nous sommes dans un pays où le devoir de mémoire a longtemps été considéré comme quantité négligeable. On n’archivait rien ou pas grand-chose. La mémoire se relayait de proche en proche et restait prisonnière des oreilles. Les écrits restaient à leur tour enfermés dans les greniers des familles et des particuliers.
En plus d’être inaccessibles au grand public, et d’être extrêmement rares à l’origine, les traces écrites souffraient d’un défaut majeur : elles étaient largement idéologisées. Donc biaisées. On écrivait pour glorifier, on écrivait pour faire plaisir, on écrivait pour se défendre et se justifier, on écrivait pour effacer. C’était une écriture de complaisance et de riposte.
Sans oublier que le contenu de ces écrits souffrait généralement d’une hiérarchisation aléatoire (Qu’est-ce qu’on dit en premier ou en dernier ? Qu’est-ce qui est important à transmettre ou non ? Quelle est la place à accorder à la petite information, à l’anecdote ?).
La construction d’un récit national a été donc difficile, compliquée, tronquée. Pour toutes les raisons évoquées plus haut, et aussi parce que, au-delà des oublis volontaires, des omissions, de la prépondérance de l’idéologie, notre histoire présente encore de nombreux «trous», des zones indéterminées, des époques ou des faits et des aspects insuffisamment sourcés, et pas ou peu, très peu investis.
À Zamane, le sujet le plus récurrent reste, et nos fidèles lecteurs le savent très bien, le Protectorat. Que n’a-t-on dit, analysé, décortiqué, révélé ou dévoilé, sur cette parenthèse courte dans le temps mais extraordinaire par la portée ?
Et pourtant, on n’a toujours pas fait le tour de la question ! Pourquoi donc, me demanderiez-vous ? Parce qu’il y a encore de nombreuses questions de détail (et le diable est dans le détail !) non élucidées. Et pour tout dire, on n’a toujours pas fini de comprendre et de répondre à cette question qui parait si simple : qu’est-ce ce le Protectorat, qu’a-t-il été pour le Maroc ?
L’expérience de Zamane est assez unique en son genre, parce qu’elle essaie de servir de trait d’union entre le public et l’histoire. Cela revient à vulgariser la science et la connaissance. Et à faire rencontrer le journalisme et l’académisme, pourtant réputés inconciliables.
En partant de l’université, Zamane est ce chemin qui vous mène vers le marchand de journaux ou la librairie de quartier. Et en partant du kiosque et du terrassier, c’est aussi le chemin inverse qui vous mène vers les bibliothèques et les grandes maisons du savoir. L’idée est de donner envie, après un dossier, une enquête ou un portrait, d’aller plus loin pour ceux qui en ont envie. Si nous emmenons nos lecteurs vers ce chemin, c’est que nous avons quelque part réussi.
Mais l’idée est aussi de mettre à la disposition du chercheur un outil et un savoir faire, qui l’aident à partager son savoir et à le diffuser au-delà du petit cercle des initiés. Sans rien perdre, bien entendu, de sa rigueur scientifique. Mission délicate, s’il en est, mais tellement gratifiante quand elle est bien accomplie.
Zamane affiche désormais 10 ans au compteur. Ce n’est rien en regard de la grande histoire de ce pays, et de tout ce qui doit encore être accompli. Mais il faut beaucoup aimer l’histoire, la culture, et surtout son pays, pour durer au milieu d’un paysage médiatique en pleine déconfiture.
Merci à tous ceux qui nous lisent, nous soutiennent et/ou apportent leur contribution à Zamane.
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction