L’arabe s’écrit et se lit de droite à gauche, le français de gauche à droite. Comment écrire et lire le champ politique marocain ? Que l’on aille dans un sens ou dans l’autre, on ne gagne pas forcément en lisibilité et en intelligibilité. Les points de départ se perdent en conjectures et les points d’arrivée se confondent en conjonctures. Il faut être armé d’une bonne boussole mémorielle et d’une grille de lecture malléable à l’envi pour s’y retrouver. Ceux qui s’y retrouvent sont les plus heureux. Ils s’en sortent, à moindre frais, plutôt tous frais compris. Sans préjuger de leurs pirouettes de sortie, ils estiment que les notions de gauche et de droite, ramenées à notre réalité politique, ne sont ni opératoires, ni opérationnelles. Bref, ils n’ont plus, chez nous, un quelconque droit de cité. Quant au centre, tout le monde veut s’y loger, au point d’avoir une densité chinoise de domiciliation politique bel et bien marocaine.
Essayons, tout de même d’y voir clair, autant que faire se peut. Dans ce cas d’espèce, le rappel historique a valeur de didactique. Ne sommes-nous pas, dès le début, face à un énorme quiproquo de sémantique qui n’a, tout simplement, pas résisté au temps et qui a fini par ne plus rien signifier ? Il fut une époque où le vocable de « gauche » était volontiers attribué aux forces politiques qui prônaient le « changement radical ». A savoir, littéralement, le contraire de ce qui existait. L’ordre établi était le point de mire à abolir, avec toutes ses représentations économiques, sociales et institutionnelles. Autrement dit, la révolution animée par le substrat du mythe du « grand soir ». Non seulement la violence n’était pas exclue, mais elle prenait ouvertement le pas sur le passage par les urnes, extrêmement suspect de commandites et de manipulations par le pouvoir en place. L’UNFP était catalogué dans ce créneau maximaliste. C’était la gauche radicale, composante politique essentielle du Maroc des années 1960 et du début des années 1970.
Fqih Basri et accessoirement Mehdi Ben Barka en étaient les figures emblématiques. Le PLS de Ali Yata s’était gardé de s’en rapprocher, bien que sa référence au communisme orthodoxe ait continué à meubler son discours jusqu’à la chute du mur de Berlin.
La roue de l’Histoire, longtemps évoquée comme unité de mesure du temps qui passe et du temps qui reste, avait, tout bonnement, prit des chemins de traverse. Un peu partout, au Maroc aussi. La voie du radicalisme n’était plus traduisible en politiquement possible, ici et maintenant. L’USFP, adaptation douloureuse de l’UNFP aux réalités et servitudes nouvelles, a dû s’actualiser, se revoir et se pragramatiser, sous la houlette de Abderrahim Bouabid et de son appel du 30 juillet 1973 à la réalpolitique. L’alternance exécutive, conduite par Abderrahmane Youssoufi, en 1998, n’a pas achevé cette mutation. Elle n’a fait que l’entamer. L’alliance avec l’Istiqlal dans l’opposition, au sein de la koutla, puis au gouvernement, a ajouté à la confusion des identités et des parcours. Une question hante encore les esprits : l’USFP est-il toujours un parti de gauche, dans l’acception idéologiquement convenue ? Ne l’a-t-il pas été beaucoup trop fortement pour ne pas apparaître actuellement comme un parti à la fois usé et happé par le trou d’air d’un certain exercice du pouvoir ?
Question ultime, y a-t-il une vie de gauche au-delà de l’USFP ? Si l’on se réfère au nombre de sigles et autant d’enseignes d’un « partisianisme » parcellaire, la réponse est oui. Reste à savoir si cette gauche de la gauche est politiquement viable, pas seulement en se nourrissant de la dénonciation de l’existant, mais par sa capacité de proposition de voies d’évolution et de solutions praticables de substitution. Bien qu’elle soit apparue à la fin des années 1960, force est de reconnaître que cette gauche-là manque encore de cohésion et de cohérence. Elle a quand même eu le mérite de proposer en lieu et place de gauche et droite, les termes de rénovateurs et conservateurs. Une évolution bienvenue, mais qui n’est pas totalement intégrée dans le lexique de la différenciation politique.
En attendant, et au lieu des paramètres gauche-droite, le mieux ne serait-il pas de faire une lecture de l’échiquier politique de haut en bas, en fonction de la performance électorale de chaque formation ? Une classification où le scrutin ferait office, non seulement de hiérarchie, mais aussi de distance, à géométrie variable, par rapport au pouvoir. Un rapport qui n’est autre que le nœud gordien de cette équation où les inconnues trouvent leurs racines dans l’historicité politique, en clair-obscur, du Maroc indépendant.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION