On connait tous cette phrase célèbre, généralement attribuée à André Malraux : « Le 21ème siècle sera religieux ». L’idée du grand intellectuel et humaniste français était que Dieu, incarnation suprême de toutes les religions, ferait un retour en force, surtout dans les sociétés occidentales, qui pensaient pourtant avoir circonscrit la question de la religion ou de la religiosité en l’emboitant dans le concept de la laïcité.
Cette prophétie du retour à la religion est à prendre, toutefois, avec des pincettes. D’une part, parce que ce retour est quasi permanent, la religion n’ayant jamais déserté le terrain. D’autre part parce que ce retour, tel qu’on le vit aujourd’hui, n’implique pas forcément un retour à la spiritualité. C’est un retour plus violent, plus éclaté, dans lequel la religion n’est pas toujours bien encadrée.
C’est une situation paradoxale : l’arrivée de la religion, voire des religions, a globalement permis d’encadrer les peuples, leur offrant un code conduite et un code de vie, avec un référentiel commun fait de lois incontestées. L’idée de faire croire s’appuyait sur une idée encore plus performante : faire obéir. L’une dans l’autre, ces deux idées ont fait avancer l’humanité mieux qu’aucun ordre politique, la faisant entrer dans un autre cycle, pas forcément plus apaisé mais plus moral, mieux organisé. Avec le temps, l’interférence entre les textes et les sociétés – réceptacles est devenue forte, au point d’offrir, et c’est ce qu’on voit clairement aujourd’hui, des variantes locales de chaque religion. Le texte fondateur est le même, mais les déclinaisons ne sont plus les mêmes, du moment que l’influence des sociétés auxquels il est destiné rejaillit sur la religion et lui donne presque une texture différente.
Quant à l’encadrement des sociétés par la religion, il a été peu à peu confronté à de nouvelles formes d’encadrement, que l’on peut appeler « civiles » et qui sont le fait de personnes morales ou physiques. Ces nouvelles formes n’ont pas effacé le rôle central de la religion, même dans les sociétés les plus laïques. Parce que la religion, au-delà des codes communautaire et de cet aspect « organisationnel » qu’on lui a toujours connue, continue de répondre à une question fondamentale : le sens de la vie. Cette question n’est pas près de mourir. Et la fonction essentielle de la religion est d’y répondre, d’y pourvoir comme à un besoin, comblant les vides laissés par l’ensemble des sciences humaines.
Etudier la religion, cela revient à étudier l’homme et la société. C’est valable partout. Dans le contexte marocain, il faut admettre que l’enracinement de la religion est tel, qu’il définit à lui seul, ou presque, l’identité marocaine. La définition par l’islam reste la plus prégnante, loin devant les autres « définitions », même les plus immuables (cas de l’africanité, par exemple, souvent reléguée au deuxième plan). Le phénomène d’appropriation de la religion n’est pas le propre de la société marocaine, il est de mise dans l’ensemble du monde arabe. L’islam marocain est donc autant le reflet de la société marocaine que de l’islam tel qu’il est arrivé au Maroc, avec les premiers conquérants arabes.
Et interroger cet islam, c’est interroger cette société : la notre. Parce que l’islam, à l’instar des autres religions, n’a pas été seulement instrumentalisé par les élites politiques. Il a aussi servi de nourriture quotidienne au peuple, à la société. Il a même été, durant le protectorat, cette pépinière qui a permis l’éclosion des premiers nationalistes. On l’oublie parfois mais la Qaraouiyine, la prestigieuse mosquée de Fès, a été aussi une école, la meilleure dans les premières décennies du 20ème siècle, pour le Jihad contre les kouffars – colons et l’élaboration du nationalisme marocain. Lequel nationalisme a appris, plus tard, à s’armer (école de la résistance) et à négocier (école des zouâma, des tribuns et des tacticiens) pour l’indépendance du royaume.
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction