Je ne sais pas si Abdelilah Benkirane fera comme Abderrahmane Youssoufi et prendra sa retraite politique après avoir été forcé de quitter sa fonction de chef de gouvernement. Cela paraît très peu probable. D’abord, parce que Benkirane n’en donne pas l’impression et que sa cote personnelle n’est pas celle d’un homme sur le déclin, bien au contraire. Ensuite, parce qu’il peut toujours être rappelé, au besoin, pour jouer au pompier de service. On ne sait jamais !
Pour reprendre une expression qui a fusé ici et là, et qui est assez juste, Benkirane a été relégué, bien malgré lui (ce détail est important), sur le banc des remplaçants. Il est possible qu’il ne quitte jamais ce banc. Ou qu’il rentre en jeu à n’importe quel moment !
Avant de comprendre pourquoi Benkirane est parti, il faut comprendre pourquoi il était venu. Et la raison est simple: c’est la crise qui l’a amené aux commandes du gouvernement en 2011. Comme d’autres Etats arabes, le Maroc subissait alors les vagues du Printemps arabe. La rue bouillonnait. Une Constitution plus libérale (ou moins rigide, c’est selon) a été adoptée et des élections anticipées ont eu lieu. C’était la réponse de l’Etat, qui tentait ainsi de tamponner la colère populaire et de réduire la crise politique dans laquelle le pays avait plongé.
Benkirane devenait, dès lors, le candidat idéal pour grimper à la tête du gouvernement. Qui mieux qu’un homme populaire et populiste pour faire face à la jeunesse qui gronde ?
Sur certains points, cette arrivée rappelle celle de Youssoufi en 1998. L’idée, ici, n’est pas de comparer les deux hommes puisque rien ne les lie. Mais il y a des parallèles intéressants à saisir au vol. Au-delà, bien entendu, du fait que si l’un (Benkirane) cause et même trop, l’autre (Youssoufi) pas du tout !
En 1998, Youssoufi est « monté » à la tête du gouvernement parce que Hassan II le voulait absolument. Le monarque ne venait pas de se découvrir, au soir de sa vie, un amour fou pour son ancien opposant politique. Il savait simplement, au moins depuis la moitié des années 1990, que le Maroc était au bord de la « crise cardiaque ». Qui dit crise cardiaque, dit mort. La formule est exagérée mais elle renseigne sur le degré d’étouffement économique et, derrière, politique et social dans lequel se trouvait le Maroc.
Pour se sortir de l’impasse, Hassan II a imaginé un certain nombre de solutions. Dont la plus brillante a l’avantage d’être, quand on la couche noir sur blanc, confondante de simplicité : on prend le premier (vrai) parti politique du pays et on met son numéro 1 à la tête du gouvernement.
Le roi défunt, qui se savait aussi malade, avait besoin d’un homme de transition(s), non seulement d’un gouvernement ou d’un mode de gouvernance à l’autre, mais aussi d’un règne à l’autre. Youssoufi était cet homme. Le candidat idéal. Alors il l’a choisi, et la suite de l’histoire lui a donné raison.
En 2017, Benkirane a été mis à l’écart malgré sa victoire électorale. En 2002, Youssoufi a connu la même mésaventure. Les motifs officiels importent peu parce qu’ils ne disent jamais l’essentiel : les deux hommes ont été écartés au moment où, en face, il n’y avait plus aucun besoin de les garder.
Les effets de l’alternance étant dissipés dès les premières années du nouveau règne, Youssoufi a été remercié dans tous les sens du terme. Au revoir et merci. Benkirane paie, quant à lui, la dilution des effets du Printemps arabe. En 2011, c’est toute la rue arabe et pas seulement marocaine qui s’enflammait et réclamait l’arrivée des islamistes. En 2017, le consensus s’est pour le moins déplacé, pour ne pas dire inversé : les islamistes ont été partout forcés de battre en retraite.
Parce que l’idée, en fait, c’est que la victoire des islamistes marocains en octobre 2016 est un accident. C’est une idée contestable, bien sûr. Ceux qui la soutiennent expliquent «l’accident de la victoire islamiste» par la faiblesse de la participation. C’est court comme argument. Mais le fait est que la mise à l’écart de Benkirane, et la stratégie d’affaiblissement de son parti, se retrouvent quelque part légitimées par la volonté de corriger « l’accident » d’octobre 2016. Conclusion ? Wait and see, comme diraient les Américains.
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction