C’est une crise diplomatique qui ne dit pas son nom. Le coup de froid récent dans les relations bilatérales entre Rabat et Berlin intervient au moment de la parution publique d’une Note signée Nasser Bourita, invitant les officiels marocains à rompre le contact avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat. Dernier épisode d’une histoire plutôt distante entre les deux pays…
Une fuite intentionnelle ? En tout cas, le message est bien passé. La diplomatie marocaine a bien fait comprendre le malaise dans ses relations avec Berlin à travers, donc, cette missive du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Le patron de la diplomatie marocaine y invite ses collaborateurs à geler leurs activités avec les légations allemandes dans le royaume. Les raisons de cette rupture paraissent de plus en plus claires. Il y a eu, d’abord, cette conférence organisée par Berlin à propos du dossier libyen en janvier 2020, lors de laquelle le royaume n’a pas été convié, malgré son implication dans le processus de recherche de la paix dans le pays maghrébin. Bourita avait alors logiquement exprimé son étonnement et son irritation : «Le Royaume du Maroc ne comprend ni les critères ni les motivations qui ont présidé au choix des pays participant à cette réunion». Plus grave encore, l’initiative de Berlin de convoquer une réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU au lendemain de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis, en décembre dernier. L’empressement de l’Allemagne à insister sur une solution onusienne et son rejet de l’initiative de Donald Trump ont été très mal perçus à Rabat. Cette crise, sur fond de soupçon d’espionnage allemand en terres marocaines d’après plusieurs médias, dont la presse espagnole fait écho, sort du cadre discret des relations bilatérales entre le Maroc et l’Allemagne.
Flashback. Il faut remonter au début du XXème siècle pour voir l’Allemagne s’inviter avec fracas dans l’actualité marocaine. Se sentant lésé par l’accord franco-britannique de 1905 qui offre les coudées franches à Paris sur le Maroc, l’empereur Guillaume II débarque en personne à Tanger, en mars de la même année, pour y rencontrer le sultan Moulay Abdelaziz, et surtout pour mettre la pression sur la France. Six ans plus tard, c’est dans le cadre de cette même rivalité coloniale que l’empire allemand dépêche un navire de guerre au large d’Agadir, véritable prélude à l’effroyable guerre mondiale qui déchira l’Europe entre 1914 et 1918. Durant cette période, le renseignement allemand a été très actif sur le sol chérifien, en tentant d’inciter des tribus hostiles à Paris à une insurrection générale au Maroc. Le même procédé sera renouvelé durant la Seconde Guerre mondiale sans toutefois faire basculer le royaume dans les forces de l’Axe, malgré la politique favorable menée par le gouvernement de Vichy au début du conflit. Séparée en deux entités à la fin de la guerre, l’Allemagne se fait plus discrète sur le terrain marocain. La RFA (République Fédérale Allemande), alignée sur le bloc ouest pendant la Guerre Froide, va tout de même attirer la sympathie du mouvement national marocain dans sa lutte pour l’indépendance. À l’ONU, Bonn n’hésite pas à montrer un visage anti-impérialiste, et soutient pour la forme le droit à l’indépendance du royaume. Aujourd’hui puissance majeure de l’Union Européenne, l’Allemagne affiche une position prudente dans le conflit du Sahara. Mais depuis la crise diplomatique du début du mois de mars, Rabat considère que Berlin est, très clairement, de moins en moins neutre…