Universitaire, islamologue, militaire, agent de renseignements… Plus qu’insaisissable, Louis Massignon est un personnage inclassable dont l’histoire du Maroc gardera le nom.
Essayer de comprendre qui était Louis Massignon n’est pas chose aisée. Les biographes qui ont essayé de décrypter les multiples facettes de cette personnalité, aussi floue qu’obscure, ont conclu à un caractère plein de contradictions, dont les positions et les convictions étaient en perpétuelle oscillation. On y trouve tout aussi bien le colonialiste militant que le sympathisant des causes nationalistes. D’un adepte fervent du sionisme, Louis Massignon passera à la défense des réfugiés palestiniens une fois l’État d’Israël bien en place. Athée à ses débuts, admirateur de l’islam à une certaine étape de sa vie, il finira par devenir non seulement un fervent catholique, mais une figure emblématique de l’Église. Enfin, le fait d’être un académicien dévoué à la recherche scientifique ne l’a pas empêché de rester proche, sinon au service de l’establishment colonialiste.
Né en 1883, dans une famille catholique, à Nogent-sur-Marne, Louis Massignon vit son adolescence à Paris. Là, au Lycée Louis Le Grand, il est camarade de classe d’Henri Maspéro, fils du célèbre égyptologue Gaston Maspéro, qui aura une grande influence sur sa « destinée orientale ». C’est à travers lui qu’il développera une sensibilité à l’Égypte et avec elle à l’Orient et au monde de l’Islam. Sa curiosité intellectuelle insatiable le pousse à prendre un intérêt croissant pour cet Orient qui le fascine. Sa partie africaine, l’Égypte et l’Afrique du nord, l’attire davantage. Déjà à l’âge de douze ans, il s’abonne au Bulletin du Comité de l’Afrique Française, organe du puissant lobby colonialiste français. Que faut-il en déduire ? Louis Massignon traverse une période difficile de sa jeunesse. La fin du XIXème siècle est dominée par un scientisme et un positivisme sans âme ne répondant guère à ses attentes intellectuelles. Le scepticisme le pousse, en fin de compte, à renoncer à sa foi catholique, compensée en cela par un certain mysticisme qui le mènera bien loin.
Dans ce domaine, son premier « cheikh », Joris-Karl Huysmans, aura une influence déterminante sur lui à travers sa notion de « substitution mystique » qui ferait de Jésus sa première manifestation. Ces incertitudes dogmatiques et métaphysiques, à une étape décisive de sa vie, ne sont pas étrangères à son désir d’échapper au cocon intellectuel parisien. En 1901, à l’âge de dix-huit ans, Louis Massignon fait son premier voyage en Afrique, à Alger précisément. Là encore, une autre question s’impose : était-ce une expérience dictée par des motivations personnelles, ou y avait-il d’autres intervenants dans cette entreprise ? Sur ce point, le seul élément de réponse dont nous disposons est sa rencontre, à Alger, avec un membre du cabinet du gouverneur général d’Algérie qui l’accueille et lui « donne de précieux conseils ». Ce sera sa première attache avec les milieux politico-militaires français. D’autres suivront.
Par Mohamed El Mansour
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