Le 15 avril dernier, une banale publication promotionnelle enflamme l’internet algérien. La compagnie aérienne locale a eu le malheur de vanter la destination Tlemcen et son histoire «marocaine». Conséquence : un tollé en Algérie et quelques moqueries du côté marocain. Mais qu’en dit l’Histoire ?
«Fière de son passé riche et diversifié, avec ses monuments historiques marocains et espagnols, ainsi que sa touche andalouse, Tlemcen, la ville de l’art et de l’histoire, est surnommée la perle du Maghreb». Telle est la phrase exacte qui a provoqué le licenciement de la responsable marketing de la compagnie aérienne Air Algérie. L’intention semblait louable. Vanter le caractère cosmopolite de la ville de Tlemcen, située seulement à quelques kilomètres du royaume, semble au contraire offrir une richesse culturelle susceptible d’attirer davantage de touristes, ce qui ferait du bien à l’économie de la région. Mais les tensions entre Rabat et Alger atteignent un tel paroxysme que plus rien n’est désormais insignifiant. Ainsi, insinuer que l’Histoire entre les deux territoires s’entremêle naturellement au fil des siècles est considéré comme une faute grave. C’est pourtant la leçon que nous enseignent les historiens qui insistent sur le fait qu’avant l’établissement récente des états-Nations, la notion même de frontières revêt une bien différente signification. Quant à Tlemcen, il semble plus juste de parler de périodes d’influences plutôt que d’appartenance.
La ville, parmi les plus importantes d’Afrique du Nord, est née comme un site militaire à l’époque où l’empire romain domine la rive sud de la méditerranée. Devenu chrétien, l’empire fait ensuite de Tlemcen un pôle religieux en y établissant le principal diocèse de la région. Au départ des Romains, ce sont des tribus amazighes (les Zénètes) qui, d’après Ibn Khaldoun, investissent le site appelé alors Agadir, qui signifie également fortification. Dans la première moitié du VIIème siècle, ce sont les Omeyyades d’al Andalus qui sont les premiers musulmans à exercer leur autorité sur la ville. Ils sont suivis un siècle et demi plus tard par Idriss Premier
(788-791), établi alors à Volubilis, et qui dans la dernière année de son règne y mène une expédition victorieuse avant d’y construire une grande mosquée, depuis lors monument distinctif de la ville. Tlemcen va ensuite longtemps dépendre tour à tour de plusieurs émirats, dont celui des Idrissides, durant ce qui sera appelé les siècles obscurs. L’avènement des empires amazighs va de nouveau placer Tlemcen dans la sphère d’influence des maîtres du Maroc, particulièrement les Almoravides à partir du XIème siècle puis les Almohades au XIIème siècle. Ces dernier y dressent des remparts qui leurs sont typiques et contribuent à enrichir l’architecture de la cité en restaurant la Grande Mosquée. Jusqu’à la domination ottomane qui débute au XVIème siècle, Tlemcen va être prisée par des pouvoirs établis au Maroc, notamment les Mérinides entre les XIIIème et XVème sans pouvoir en déloger la dynastie régnante Zianide, originaire de l’actuelle Tunisie. La population de la ville va une dernière fois solliciter l’autorité du sultan chérifien au moment de l’apparition de la menace coloniale française à partir de 1830. La «perle du Maghreb» est donc bel et bien une ville riche de sa diversité. Une chance qu’il est dommage de renier…