Assurément, la construction démocratique marocaine est difficile, parfois confuse, voire incompréhensible. Pendant cinq mois, mi-ouvrables, mi-chômés, du côté de la classe politique, la formation d’une alliance gouvernementale, dotée d’une majorité parlementaire confortable, est parue infaisable. En cinq jours, Saâd-Eddine El Othmani, chef désigné du futur gouvernement, a pu présenter un rassemblement de partis susceptibles de fournir du personnel ministrable pour le prochain Exécutif. Retard à l’allumage, d’un côté, mise en route sur les chapeaux de roue, de l’autre. Rien que ces deux rythmes de réalisation appellent quelques interrogations.
Tous les intervenants sur la chose politique nationale ont brocardé à l’unisson un blocage hautement préjudiciable, pas seulement pour l’économie, mais aussi pour cette démocratie participative qui n’a cessé d’être transitoire. Reste à savoir pourquoi ! Au jour d’aujourd’hui, peu ou pas de réponses vraiment convaincantes. Interpellé sur la question, lors d’une rencontre avec ses troupes, Abdelilah Benkirane a promis de livrer quelques explications avouables, mais qu’il en gardera pour lui, ad vitam aeternam. On aura tout de même remarqué que Benkirane a été remercié sans avoir été reçu.
Pour le moment, nous n’avons (à l’heure où nous mettions sous presse) toujours pas de gouvernement, mais juste une bousculade, en circuit fermé, de candidats à la gouvernance qui semblent pressés de nous gouverner. Au premier regard, le panel rassemblé par El Othmani apparaît comme un bouquet de six couleurs partisanes qui nécessiteront des trésors d’ingéniosité politicienne pour les marier et les faire travailler dans un même réceptacle gouvernemental. Il est donc normal qu’on ait, là aussi, quelque étonnement à exprimer. L’Istiqlal a-t-il été évacué en tant que tel, à partir de son générique historique devenu, paraît-il, incompatible avec le temps présent et inadéquat avec quelque promesse d’avenir que ce soit ? Avec ou sans Hamid Chabat ? En clair, un parti périmé. Est-ce pour cela que M. Benkirane a été débarqué? Pourquoi ne pas avoir appliqué le même raisonnement au cas USFP, un autre parti historique dont les déchirements n’ont rien à envier à ceux de l’Istiqlal, même s’ils ne sont pas de même nature. Est-ce
que cela aussi a contribué au limogeage de Benkirane ? Mystère et boule de gomme.
Aussi importants soient-ils, ces aspects restent peu anecdotiques par rapport à la mère des questions, qui en cache d’autres. Par quelle gymnastique intellectuelle ces six partis devront-ils payer, d’une part, d’eux-mêmes et de leurs programmes pour se retrouver en cohérence avec le PJD et son empreinte indéniable sur la déclaration de politique générale de M. El Othmani ? A moins que les programmes desdits partis, pour lesquels ils ont été élus, ne comptent pour rien. Il est vrai que l’exercice de la chose politique se prête à toutes les contorsions possibles, mais n’y-a-t-il pas, là aussi, des niveaux plancher et plafond, comme pour toute pratique humaine. Et puis, que dire de cet engouement, à la limite de l’hystérie, pour le gouvernement en construction ! Presque tous les partis représentés au parlement voulaient y être. à l’exception du PAM qui serait bizarrement esseulé dans le rôle d’opposition. En attendant la remise en marche de l’Istiqlal, contraint et forcé à s’opposer. Si, avec toutes ces contradictions, Saâd-Eddine El Othmani réussit, tout de même, à former un Exécutif cohérent et opératoire, il aura rapproché psychiatrie, religion et politique. Une prouesse pour un jeu démocratique à la marocaine.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION