Zamane a choisi Hasna Abouzaid comme invité du mois. La grande interviewée, c’est elle. Elle a moins de 50 ans, ce qui fait d’elle la benjamine de tous nos invités. Il faut en tout cas lire ce que nous raconte la «benjamine», parce qu’elle nous rappelle un fondamental que beaucoup oublient : le conflit du Sahara est idéologique (traduisez «politique») et pas ethnique.
La députée socialiste a mille fois raison. À Tindouf, de l’autre côté des murs, vivent des milliers de femmes et d’hommes qui ont leurs cousins, leurs frères et sœurs, et pour tout dire leurs racines à Dakhla, Laâyoune, Smara, Boujdour…
D’un côté du Mur, comme de l’autre, c’est le même tissu humain. Tous Sahraouis, tous Marocains.
La fracture qui existe n’est pas ethnique, ni humaine. Elle n’est pas culturelle. Le véritable «mur» qui sépare les deux communautés est politique, idéologique, géostratégique. C’est un voile, quelque chose de factice.
À sa naissance, une décennie après la vague des décolonisations, quand les jeunes nations découvraient les difficultés de la reconstruction après la douce euphorie des indépendances, le conflit du Sahara offrait une opposition entre le monarchisme/libéralisme incarné par le régime de Hassan II, et le socialisme/tiers-mondisme proposé ou plutôt rêvé par Alger. Deux visions ou propositions de voir le monde d’alors.
Derrière, bien entendu, il y avait aussi deux ambitions, celles de Rabat et d’Alger, de faire basculer le Maghreb et l’Afrique du Nord chacun de son côté. Ces ambitions étant elles-mêmes sous-tendues par deux bocs, Est-Ouest, américanisme/soviétisme,
Mais c’était il y a un demi-siècle ou presque, quand le monde était réellement divisé en deux, par le même «cutter» idéologique/politique/géostratégique.
Ce cutter coupait le monde, il coupait aussi le Maghreb comme le couteau coupant le beurre. C’est le même beurre à l’arrivée, mais il était désormais coupé en deux parties distinctes.
Des liens (familiaux, culturels, économiques) étaient ainsi coupés en deux, disloqués, tenus artificiellement loin les uns des autres. Cette situation préjudiciable pour tous a assez duré. Mais pour la changer, il ne faut pas charger les hommes mais les idées.
L’autonomie ou le fédéralisme étaient et restent des alternatives honorables et acceptables pour tous. Pourquoi ? Parce que les deux concepts répondent, raisonnablement, à ce besoin de démocratie exprimé tant par les Sahraouis que par la gauche marocaine.
C’est un objectif réaliste, et il finira par être réalisé malgré les retards de la mise en marche des feuilles de route correspondantes, et malgré les escarmouches qui surviennent ici et là.
En attendant, il faudra savoir raison garder. La diplomatie fait son affaire, elle avance ses pions. Sur le terrain, nous avons vu comment l’armée marocaine a tenté et réussi une opération « de police » pour remettre de l’ordre à El Guergarat. Quant à la communication officielle et à la propagande, elles font leur travail de toujours, ce qui ne représente rien de neuf.
Où est le problème alors ? Il est, comme nous le rappelle à juste titre Hasna Abouzaid, dans la campagne de haine culturelle qui a surgi récemment sur Internet. C’est un dérapage, il n’y a pas d’autre mot.
Attention. Il faut quand même rappeler ici que l’élément sahraoui fait partie de l’identité marocaine. C’est d’ailleurs sur cette affirmation que repose la marocanité du Sahara. Le Sahraoui n’est pas un greffon. Et il est le même, d’un côté du mur comme de l’autre, à Tindouf ou Laâyoune, unioniste ou séparatiste. Il faut respecter l’être humain et sa culture.
Cela s’appelle respecter le passé et ne pas insulter l’avenir. Le conflit du Sahara a ceci de particulier qu’il représente une famille qui a un problème à régler avec l’un de ses membres. Tôt ou tard, ils se remettront ensemble.
Parce que, comme nous la rappelle encore la députée socialiste, «les gens de Tindouf ne sont pas différents de nous, les liens entre nous sont intimes et nous devons toujours en avoir conscience».
Et puis, respecter ses adversaires, combattre leurs idées sans tomber dans la haine culturelle ou ethnique, cela fait partie de l’apprentissage nécessaire à la construction de cet Etat de droit, auquel nous appelons tous.
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction