Avant de quitter cette année 2015, revenons un demi-siècle en arrière sur une année charnière, celle de 1965. Etat d’exception, disparition de Ben Barka, naissance de l’organisation 23 mars et établissement de l’enseignement coranique sont au programme d’une année marquée par la rupture entre Hassan II et la gauche.
Les parlementaires ne sont pas mûrs pour un régime constitutionnel. C’est ainsi que répond le roi Hassan II à la question d’un journaliste qui cherche à comprendre les raisons de l’instauration de l’Etat d’exception au Maroc. Depuis 1961 et son accession au trône, Hassan II fait face à une opposition qui compte bien participer à la gouvernance du pays. Les tensions s’accumulent jusqu’en 1965, année où les comptes se règlent. Au mois de juin, les rues de Casablanca sont à feu et à sang. Depuis mars, de violents affrontements opposent forces de l’ordre et manifestants hostiles à la flambée des prix. L’Histoire retiendra que le mardi 23 mars, une terrible répression a balayé les manifestants de Casablanca. Le bilan incertain fait état de plusieurs milliers de morts. Une date reprise par un groupe d’extrême gauche à l’aube des années 1970, qui choisissent d’honorer la mémoire des victimes en nommant leur organisation secrète « 23 mars ». Au cours de cette même année 1965, face aux troubles que connaît le pays, Hassan II réagit. Il décide de suspendre les activités du parlement et de s’octroyer l’essentiel du pouvoir exécutif. Une situation extraordinaire qui se prolonge pendant une décennie et qui permet au souverain d’écarter les partis d’opposition (Istiqlal et UNFP) de l’échiquier politique. L’année 1965 est aussi celle de l’affaire marocaine du siècle : la disparition de Mehdi Ben Barka, leader de l’UNFP et initiateur de la Tricontinentale. Le 29 octobre, il est pris au piège et enlevé devant la brasserie Lipp à Paris. Depuis, aucune des enquêtes menées sur ce dossier n’est parvenue à révéler la vérité sur les commanditaires. Cet événement accentue les tensions entre le régime et ses opposants. Les mouvements de gauche se retrouvent, en cette année 1965, de plus en plus isolés. Ce n’est pas tout, le défunt roi dégaine une nouvelle carte. C’est dans le domaine du religieux que le roi tire profit de la situation, aidé en cela par son statut de Commandeur des Croyants. En effet, c’est au cours de l’année 1965 qu’il «invite» ses sujets à renouer avec l’enseignement coranique. Les «kataiyb al qorania» ainsi créés visent essentiellement à détourner la jeunesse scolarisée de la «propagande laïque», référence à l’idéologie communiste, très influente durant cette période de l’histoire. C’est donc par différents biais que Hassan II modifie le cours de l’Histoire contemporaine du Maroc. Le tout condensé dans les douze mois de cette année 1965.