Ne sois pas offusquée, madäme, de mon accent ni de mes manières par trop gauches. On n’a plus à simuler désormais. Tu couchais avec moi sans amour, dis-tu. Je te sais gré de cette franchise. Depuis que j’étais à ton service, contre mon gré il est vrai, je ne voulais jamais étaler tes travers. Je te savais vieille dame qui savait cacher ses rides, à coup de fard, en se donnant l’air de jeune fille. Tu me trainais dans tes soirées mondaines et tes diners gala, pour montrer que tu n’as rien perdu de ta grandeur d’antan. «Ah, qu’il est serviable le bécot de Moha ! Lui et Mamadou me sont restés fidèles». Tu ne parles plus de nos fortes odeurs. Tu t’amusais en nous écoutant tous les deux nous égosiller, dans ta belle langue, en conjugueurs parfaits du passé composé et de l’imparfait. Tu nous préparais pour chaque cérémonie de la francophonie, pour qu’on s’attifât (tu vois bien que je conjugue le subjonctif imparfait, même si cela me donne l’air ringard, avec l’accent circonflexe) de nos atours, moi de mon turban et lui de son boubou, puis poser pour la photo souvenir, comme lors «du bon vieux temps», quand je mettais ma djellaba courte, mon barda avec ma baïonnette, en bon goumier, à l’assaut de tes guerres, mourir pour des causes qui n’étaient pas les miennes. J’ai toujours à l’esprit le discours de l’instructeur qui devait nous jeter au charnier de Verdun, en nous promettant un couscous avec de la viande, et la bénédiction du cheikh Clemenceau, paix sur lui (sic). Tu me gratifiais, il est vrai, d’une belle parade aux champs Elysées, le 14 juillet, et une petite cérémonie aux Invalides, présidée par l’intendant, caporal de son rang, à qui je rends les honneurs, moi l’aspirant, en bon indigène qui se respecte, comme tu m’as appris à le faire, avec un Mojor Msio, sous peine d’arrêts de rigueur. Le bon caporal me tapote sur l’épaule et m’invite à manger au mess de la viande halal, pour la circonstance.
Je me suis mis à apprendre le français, car je sais que tu n’es pas douée pour les langues, pour pouvoir converser avec toi. Du Bellay et sa litanie sur la France mère des arts, des armes et des lois, et tout le toutim. J’ai eu de toi, le meilleur, ta langue et la façon de penser de certains de tes enfants que tu ne chéris pas particulièrement.
J’avais tu, Madäme, tout le mal que tu m’as fait, quand déjà un de tes fils, le général de Lamoricière en 1844 et autres généraux avec leurs diadèmes, avaient commencé l’œuvre de dépeçage de mon pays. Même le bon Hubert n’est pas allé par le dos de la cuillère. Tu me le sortais à chaque fois. «Moha, mais c’est à tonton Hubert, que tu dois ton instruction». Je ne disais pas tout sur Hubert. Non pas sur sa vie privée, cela ne m’intéresse pas, ni d’ailleurs les frasques et scandales des habitués de la Mamounia, que je consignais dans un cahier d’écolier.
Tu me payais de mots, et quand il fallait plier bagage, tu as su te rendre indispensable. Tu m’as remis pieds et poings liés à tes suppôts, qui, tu m’as rassuré, partagent la même foi que moi, même si tu savais qu’ils n’avaient ni foi ni loi. Tu t’accommodais de la superstition et de l’archaïsme, alors que tu te voulais dépositaire de mission civilisatrice. Un de tes fils, un certain Maurice Leglay disait qu’il fallait tenir les Marocains par leur travers, et ton Pierre July a conçu la nouvelle formule, pour que tu puisses nous tenir (je ne veux être vulgaire). Tu n’as pas perdu le sens des affaires, car in fine, c’est ce qui comptait pour toi.
J’étais promu caïd, et c’est là où j’ai connu tes Castels, Delorme, Vivendi, Lafarge, tes collecteurs d’ordures et autres vendeurs de mirage (s). J’ai même posé pour la photo avec l’expert de l’agence de développement, en me tenant raide comme pour la photo d’identité. Je n’ai soufflé mot sur les broutilles promises, ni des contrats iniques, les accords léonins, l’exploitation de nos ressources, l’ordre néocolonial, et j’ai organisé une belle diffa, comme lors du « bon vieux temps ». Tout y était, l’Ahidous (ma danse collective), le méchoui, la fantasia, et au terme d’un repas gargantuesque, M. Dupont m’a gratifié d’un bon discours en levant, un toast en l’honneur de l’amitié franco-marocaine. Tolérance oblige, on m’a permis de lever mon verre d’eau. Le gérant, en aparté, m’a soufflé : «Il faut avoir les bougnoules à l’oeil. Pas de grabuge, Moha», asséna-t-il, et en bon indigène, j’ai hoché la tête. «Que nenni, Sid Lhakem», heureux d’avoir serré la main de M. Dupont.
J’aurais pu continuer, madäme dans ce rôle, si tu ne m’avais rappelé cette réalité que je feignais d’ignorer. Je te vois désormais, madäme, sans illusions, sans complexes… et sans acrimonie. Plus besoin de grasseyer le « r », pour te parler, ce qui me donnait l’air ridicule. Je te regarde droit dans les yeux, et te crie : je suis autre, Marie-France et au diable tes bâtards que tu as disséminés un peu partout et autres suppôts. C’est de là que tu tires ton arrogance.
Aucun Résultat
View All Result
J’avoue (c’est le temps des confessions) que me suis vraiment réjoui de lire cette chronique, dans laquelle Monsieur Hassan a su comment rendre la monnaie de la pièce de sa sale vielle maitresse -l’ogresse- française Marie-France, et j’espère que ses » suppôts » ferraient la même chose pour que le feuilleton de dévoilement de la saleté continue, je sais que le sevrage -qui rime avec le servage- est très dur mais il est nécessaire pour qu’on devient « adultes » Tanmmirt Mass Hassan !
En plein dans le mille.
Aujourd’hui nous constatons les mêmes. scénarios interprétés différement dans la région de Mirleft , Taghazout , Agadir , Sidi Ifni avec tous ces retraités venus profiter de l’achalandage bio des souks , du soleil , de la nature, des plages encore naturelles , eh bien entendu du copinage des autorités , du Caid et du Gendarme du village a qui on offre le soir en cachette le soit disant verre de Rouge rammené de France ! je crois que « chez ces gens la » c’est une affaire génétique !