Théoricien de l’altermondialisme, Samir Amin est l’un des plus grands économistes du monde arabe et de l’Afrique. Depuis toujours engagé contre le capitalisme et l’impérialisme, il nous livre son analyse des récentes élections égyptiennes.
Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont conduit à la victoire des Frères musulmans aux élections parlementaires et présidentielles en Egypte ?
Le succès de l’islam politique en général, et des Frères musulmans en particulier, exprime sur le plan social et économique le triomphe de la mondialisation néolibérale. La détérioration des conditions de vie de la majorité des Egyptiens est le résultat direct de cette mondialisation qui a provoqué une prolifération sans précédent du secteur informel. Celui-ci joue actuellement un rôle fondamental dans la vie économique et sociale. Il représente la source de revenus la plus importante pour la majorité de la population active en Egypte. Les statistiques démontrent que 60% des gens en vivent.
Les organisations liées aux Frères musulmans ont fait preuve d’une grande capacité à travailler dans ces circonstances. De sorte que le succès social des Frères, bien avant leur succès politique, avait à son tour favorisé l’inflation de ces activités de survie, par exemple via des prêts pour un taxi ou pour des commerçants ambulants, etc. Ce succès assure ainsi la reproduction des activités susmentionnées à une plus grande échelle. Il s’agit d’une spirale négative. La culture politique de la Confrérie est connue pour sa grande simplicité. Cette culture politique confère une « légitimité » religieuse aux relations socio-économiques qui tirent leur principe du marché libre. Une telle culture montre une indifférence totale quant à la nature de ces «activités rudimentaires de bazar». Or, celles-ci sont incapables de former une force propulsive pour une économie nationale développée. Pour être bref, les Frères musulmans n’ont aucune conception du développement économique et social.
Le contexte politique et économique, régional et international, a-t-il favorisé le succès électoral des Frères en Egypte ?
En effet, la mise à disposition, qui dure depuis assez longtemps, par les pays du Golfe de fonds importants a provoqué un véritable boom des activités improductives mentionnées plus haut. Ces fonds sont souvent distribués sous la forme de petits prêts ou de subventions. Si l’on ajoute à cela les œuvres de charité, également soutenues par les Etats du Golfe (cliniques et autres institutions charitables), on comprend le développement démesuré de ce secteur. Bien entendu, les Etats du Golfe n’ont aucunement l’intention de contribuer au développement de la capacité productive de l’économie égyptienne, comme la construction d’usines par exemple, mais seulement de parrainer cette sorte de «lumpen-développement».
Propos recueillis par Maâti Monjib
Lire la suite de l’article dans Zamane N°22-23