Faire de la religion son domaine de prédilection est toujours une prise de risque. L’historienne Jacqueline Chaabi ne cherche pas de zone de confort et s’est illustrée, depuis des années, dans une lecture rigoureusement scientifique de l’Islam. L’auteure de «Les Trois Piliers de l’islam, lecture anthropologique du Coran» et «Le Seigneur des tribus, l’islam de Mahomet», ne cesse de plaider pour une approche anthropologique du sujet. Pour elle, il est impossible de comprendre l’islam contemporain sans maitriser le contexte de son apparition en Arabie. Jacqueline Chaabi nous explique comment elle en est venue à se passionner pour le monde arabo-musulman et nous expose son regard critique de l’étude de l’islam en Occident. Entretien privilégié avec une experte reconnue d’un domaine toujours aussi brûlant d’actualité…
Vous portez le nom de Chabbi, celui aussi de l’immense poète tunisien Abû-l-Qâsim Chabbi. Racontez-nous comment…
C’est en effet un nom prestigieux, celui bien sûr du poète Abû-l-Qâsim emporté trop tôt en 1934 par la maladie, mais aussi celui d’une grande famille d’origine maraboutique qui fut à la tête, un court moment, d’une principauté en Tunisie centrale (les Chabbiyya) et dont le fondateur au XVème siècle a son mausolée à Kairouan. J’étais étudiante en études arabes à Paris, élève entre autres de Régis Blachère, le grand traducteur du Coran, lorsque je rencontrai un membre de cette illustre famille, lui aussi étudiant, qui devint mon mari…
Quand et comment est né votre intérêt pour le monde arabo-musulman ?
Je suis d’origine bretonne, mais ma famille s’était installée en région parisienne. J’étais encore collégienne lorsque je demandais à des amies algériennes de m’apprendre des mots d’arabe. Il faut dire que j’étais habituée aux langues puisque j’étudiais l’allemand, le latin et le grec classique. Il se produisit alors un événement qui a priori n’a rien à voir avec moi : la nationalisation du canal de Suez en 1956. À la suite de l’intervention militaire franco-britannique, un grand nombre de porteurs de passeports français qui résidaient en Egypte furent expulsés. Il se trouva que l’un d’eux était le frère d’un Français d’origine marocaine que connaissait ma famille. Il savait lire et écrire en arabe. Après m’être procurée un manuel d’arabe, je lui demandai de m’apprendre l’alphabet arabe. J’avais quatorze ans. L’étude de cette langue devint une passion au point que j’en vins à suivre les cours d’arabe du Lycée Louis de Grand à Paris, qui avaient lieu le soir et le samedi. J’y eus d’ailleurs comme répétiteur Abdallah Laroui, l’année où il préparait à Paris l’agrégation d’arabe. Je passai mes deux baccalauréats avec l’arabe comme langue principale, et j’entrai ensuite tout naturellement dans la formation d’arabe de la Sorbonne où enseignaient les derniers éminents orientalistes arabisants : Régis Blachère bien sûr, mais aussi Charles Pellat, le grand spécialiste de la littérature arabe classique. Nous n’étions qu’une poignée d’étudiants.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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