Une gamme diversifiée, un retour remarqué sur la scène internationale et des ventes mondiales quadruplées. Tel est le bilan de Skoda 20 ans après avoir convolé avec Volkswagen.
Nous sommes à l’aube des années 1990. Le Mur de Berlin vient de tomber, et un vent de liberté et de réformes souffle déjà sur l’ancien bloc soviétique. Hélas, les pays de l’Est sont toujours dans un état de délabrement économique et industriel patent. La vétusté des automobiles contraste avec le reste du monde, exception faite du parc roulant à Cuba. En Russie, les Lada ou les Gaz n’ont pas plus fière allure que les Dacia de l’époque, alors que les Yougoslaves roulent surtout en Zastava, de vieilles Fiat sous licence.
Au temps de l’unique Favorit
En Tchécoslovaquie, c’est Skoda qui mène la danse. Mais elle ne peut être assimilée qu’à une traditionnelle valse à trois temps ! En effet, seules la Favorit et ses deux variantes de carrosserie (break et pick-up) figurent au catalogue du constructeur à la flèche ailée. Une petite voiture à cinq portes et à traction avant (une première pour la marque), dont l’allure et le confort la placent dans les standards européens. Malgré des ventes soutenues, la Favorit n’a pas vraiment de débouchés à l’international, Skoda n’étant exportée et distribuée que dans 30 pays. Pour couronner le tout, son développement en partenariat avec de grands noms de l’automobile (Bertone pour le design, Porsche pour la traction) a englouti toutes les liquidités de la boîte.
Changement de style…
Conscient de l’urgence du renouvellement et de la diversification de sa gamme, la firme nationale cherche des capitaux jusqu’à opter pour une privatisation, laquelle sera opérée en 1990. Malgré cela, la marque tchèque se retrouve au bord du gouffre et ne croit à sa survie qu’à condition de conclure un partenariat fort et durable. Outre Volkswagen, les prétendants au mariage avec la firme tchèque sont nombreux et de premier ordre. Il y a BMW, General Motors et surtout Renault, qui n’a pas encore fait main basse sur Dacia. Commencent alors d’intenses tractations entre les différentes entités, sous la houlette du gouvernement tchèque. Le dernier mot reviendra à ce dernier, qui choisit finalement le groupe Volkswagen. Au printemps 1991, tout est finalement en place : Volkswagen prendra une part de 31% dans Skoda et assumera la totale responsabilité de sa gestion. L’accord est conclu solennellement le 16 avril entre Jan Vrba, ministre tchèque de l’Industrie et du commerce, et Karl Hahn, président du directoire de Volkswagen AG. Fier de cette nouvelle alliance, ce dernier considère la marque tchèque comme « la perle de l’Est », comme il l’a déclaré le jour de la cérémonie de signature. Le travail commun peut alors commencer, dans le respect de l’identité et des cent ans d’histoire de la marque. Investissement massif dans les produits, modernisation des processus d’assemblage et augmentation de la capacité de production… Telles sont les priorités du nouveau management de Skoda. Question produits, la première « patte » Volkswagen est perceptible dès 1992, à travers la refonte du style de la Favorit, alors qu’un nouveau modèle est en gestation. Il s’agit de la Felicia, appelée à remplacer la Favorit dès 1994 et qui restera dans l’histoire comme la première Skoda de l’ère Volkswagen. Pourtant, malgré une qualité de fabrication en net progrès avec ce qui se faisait par le passé, la Felicia n’est rien de plus qu’un relooking en profondeur de la Favorit. D’ailleurs les ventes de l’époque ne subissent aucun impact. Bien au contraire, puisque les livraisons mondiales de Skoda n’ont de cesse d’évoluer, passant de 171 885 véhicules en 1991 à 219 158 en 1993, puis à 261 067 unités en 1996. En avril de cette même année, la millionième Skoda depuis l’alliance avec Volkswagen est sortie des chaînes de montage. Entretemps (1995), la marque a déjà entrepris de gros travaux sur le plan infrastructurel. D’une part, elle a modernisé l’usine de Vrchlabi en Bohême du Nord, d’autre part, elle a construit de nouveaux bâtiments sur le site principal de la marque, à Mladá Boleslav. Cette nouvelle unité industrielle doit accueillir la production d’une nouveauté majeure dans l’histoire de Skoda : la première Octavia.
… place au capitalisme
Lancée vers la fin 1996, cette berline de 4,5 m de long fait le bonheur de dizaines de milliers de clients à travers le monde. Son secret ? Des organes éprouvés et provenant de Volkswagen (moteur, châssis…), ainsi qu’un rapport prix/équipements imbattable. Une recette qui fonctionne encore aujourd’hui et qui a littéralement fait décoller les ventes de la marque, passant de 363 500 véhicules en 1998 à 435 403 en 2000. Entretemps, la marque a non seulement élargi son marché de l’export (70 pays), mais aussi lancé son troisième modèle, la Fabia. Partageant sa plateforme avec les VW Polo et Seat Ibiza de l’époque, cette citadine polyvalente rencontre, à son tour, un succès immédiat et rafle une distinction majeure en Allemagne : le Volant d’Or (en 1999).
Au vu de ces succès, les dirigeants de Volkswagen – et à leur tête le très charismatique Ferdinand Piëch – décident de renforcer leur présence dans le capital de Skoda pour en faire la quatrième marque du groupe, qui à l’époque, compte les labels VW, Audi et Seat. Contrôlée à 100% par le géant allemand depuis l’an 2000, la firme tchèque va alors connaître un développement tous azimuts. Parallèlement à l’élargissement de la gamme (Octavia Combi, Superb), la marque tchèque peaufine ses installations locales. Outre une usine de carrosserie capable de produire 1 200 pièces par jour, s’ajoutent un centre logistique, un site pour la fabrication de moteurs et de boîtes de vitesses, puis un nouveau centre de recherche et de développement. Tout en profitant des synergies avec la maison-mère, Skoda non seulement renforce son autonomie dans les domaines de production et de développement technique, mais poursuit remarquablement son internationalisation. C’est ainsi qu’elle inaugure une usine en Inde en 2001 puis, l’année suivante, un second site en Tchéquie (à Kvasiny). Ces installations tournent à plein régime pour suivre une demande soutenue. Si bien qu’en novembre 2005, le constructeur tchèque produit son cinq millionième véhicule depuis 1991. L’année suivante, la production annuelle de Skoda dépasse pour la première fois les 500 000 véhicules ! Devenue une marque à part entière et comptant bientôt un quatrième modèle (le Roomster), Skoda décide de s’introduire sur le marché chinois. Sa première concession automobile chinoise est inaugurée en 2007 à Shanghai et la joint-venture locale de Volkswagen démarre la production sous licence de véhicules Skoda. Les dernières années, de 2008 à 2010, voient la marque tchèque investir de nouveaux segments, milieux et technologies. Cela va du Yeti (premier SUV et cinquième modèle de la marque) aux versions écologiques estampillées Greenline, en passant par une entrée remarquée en compétition à travers le championnat du monde des rallyes IRC. L’ancienne « petite maison » de Mladá Boleslav a profité pleinement de son alliance avec Volkswagen, puisque ses ventes de voitures ont quadruplé en 20 ans, passant de 171 885 à 762 600 unités en 2010. Un seuil colossal qui ravit les leaders du géant allemand, lesquels ont assigné une stratégie de croissance ambitieuse à moyen terme, avec comme objectif de doubler les ventes à l’horizon 2018, soit 1,5 millions de véhicules. C’est dire combien cette idylle tchéco-germanique est promise à un bel avenir.
Par Alain Delaroche