On a beau dire dans les salles de rédaction que «l’idée c’est d’avoir des idées». Cela fait passer cette boutade pour une idée passe-partout. Elle n’en demeure pas moins valable, pas uniquement pour la presse, mais un peu partout. Quand les chaînes d’informations sèchent, on peut toujours se rabattre sur une thématique qui a une histoire et des prolongements dans le temps présent. Mais lorsque la scène politique, dans son entièreté brille par sa stérilité, les tentatives de rattrapage sont encore plus laborieuses. Auquel cas, il y a de quoi pousser le souci jusqu’à chercher la signification profonde de ce manque d’attractivité et de ses conséquences sur l’avenir immédiat.
Tout donne à croire que la vie politique nationale se trouve dans cette situation. Nous sommes en attente de quelque chose qui relève d’on ne sait quoi. Cette fois-ci, ce n’est pas une panne gouvernementale qui prévaut, telle celle du blocage qui a marqué le passage du témoin de la primature de Abdelilah Benkirane à Saâd Eddine El Othmani. Après tout, un premier ministre n’est pas si difficile à dégoter, surtout dans un champ politique où tous les coups sont permis pour disposer des dorures de la primature. L’incarnation de la fonction depuis le début de l’alternance n’a pas pu évacuer le sentiment de vide politique. Ce qui était parfaitement faisable sans déroger au rituel du formalisme démocratique. La bougeotte politique, souvent à caractère partisan plus que gouvernementale, n’a pas suffi.
Les ronds de cuir des bibliothèques, tout autant que les praticiens aguerris de la chose publique, vous diront que la politique, tout comme la nature, a horreur du vide. La notion de vide, en elle-même, est porteuse d’un gros potentiel de risque déstabilisateur. Autrement dit, exactement l’inverse de ce que le Maroc n’a cessé de mettre en évidence, jusqu’à en faire un argument imparable au niveau international. Encore faut-il admettre que la stabilité n’a de sens qu’en s’inscrivant dans la durée.
Au regard de la nature et de la quantité des problèmes en suspens, on se surprend à se demander pourquoi n’avons nous pas été capables de leur trouver des solutions à effet progressif en leur temps, si ce n’est pas chemin faisant. Autrement dit, la meilleure parade politique où le problème devient une source d’énergie pour un grand bond en avant. Pas moins de six décennies après, soit près de trois générations, on en est encore à ne pas savoir sur quelle langue construire notre système éducatif. Tout se passe comme si ce retard était imputable à notre personnel politique. Ce qui n’est pas loin de la vérité. Toujours est-il que cela ressemble à la situation d’un élève qui sèche dans un examen de passage à autre chose. Du coup, on se demande pourquoi la société actuelle n’a pas produit des hommes de grande capacité d’imagination et d’innovation, voire de rêve ; des hommes du calibre de Allal El Fassi, Abdellah Ibrahim, Abderrahim Bouabid ou encore Mehdi Ben Barka. À moins que ces hommes-là participent d’une crise cumulative de l’enseignement. Sur cette problématique de l’école se greffe, quasiment de cause à effet, d’autres cas aussi vitaux et stratégiques tels le chômage endémique, l’absence de couverture par la santé publique de l’ensemble du territoire ou les voies et moyens d’accès à des centres de peuplements excentrés ou encore l’habitat insalubre qui ne se contente plus des ceintures urbaines, s’incruste et se développe entre des espaces à 30.000 dirhams le mètre carré.
Face à cet amoncellement non exhaustif d’un mal-vivre social, la réaction des milieux officiels chargés de dépassement planifié, est plutôt molle. Les leaders des partis politiques ne brillent pas par leurs idées innovatrices et n’ont de présence que par des assemblées oratoires de circonstance. Au niveau institutionnel, c’est plutôt le règne de la confusion. On ne sait pas qui parle à qui, à partir de quel lieu de responsabilité.
Au risque de porter un regard quelque peu nihiliste sur notre élite nationale, sa productivité et sa capacité de réaction, disons pour faire bref qu’il y a actuellement un vide abyssal que nos fins politiciens n’arrivent pas à combler. La fameuse roue de l’histoire semble s’être assoupie, avec des lenteurs au démarrage. Il faut être atteint de tropisme politique pour ne pas s’apercevoir de l’absence de grandes idées novatrices capables de mobiliser les esprits vers un lendemain meilleur. Soit. Sauf que celui-ci n’est pas encore en état de marche. Du coup, on fait du surplace. Agacés par des problèmes invariables, voire irrespirables, les jeunes s’ennuient. C’est grave dans la mesure où la population juvénile peut exprimer l’ennui par un radicalisme pas forcément religieux.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION