Il était lourd le ciel maghrébin. Il l’est toujours, avec une quasi faillite de l’Etat en Libye, une instabilité en Tunisie qui a débouché sur un état d’exception. Mais c’est surtout entre le Maroc et l’Algérie que les choses vont (ou allaient) mal. Elles ont gagné en intensité depuis que le Maroc a (r)établi les relations diplomatiques avec Israël en décembre 2020. Il y eut une escalade depuis, avec une série de mesures et de déclarations, inimaginables dans le cadre de la tension sous contrôle qui a prévalu depuis 1975.
La tension n’était pas montée que de plusieurs crans, mais a changé de nature. Elle était devenue incontrôlable. On peut égrener les faits saillants de cette dérive : les agriculteurs marocains chassés de Laârja aux faubourgs de Figuig, les manœuvres militaires algériennes sur les frontières, la déclaration du président Tebboune dans l’hebdomadaire «Le Point» (en mai), s’en prenant même à la nature du régime marocain. Ce qu’aucun responsable algérien n’avait osé dire, mais relevait d’un inconscient politique. Cerise sur le gâteau, le représentant marocain aux Nations-Unies qui appelle à l’autodétermination du «peuple Kabyle qui subit la plus longue occupation de l’histoire» (sic). Je passe outre les campagnes médiatiques, ici et là. Dérives et démesures.
Puis, coup de théâtre. Le souverain marocain, à l’occasion de la fête du Trône, tend la main à l’Algérie. Je paraphrase. Les deux peuples ne sont pas que voisins, mais jumeaux. Ce qui touche l’un touche l’autre. Il y a problème, mais il n’est pas l’œuvre du Maroc, mais d’un corps étranger (on peut conjecturer à loisir sur ce corps non identifié) responsable de l’état de fait qui a perduré. Il faut guérir des clichés préconçus, nourris dans la séparation et les préjugés. Les intérêts communs devraient prévaloir. Et puis, la fermeture des frontières terrestres est une incongruité. Basta les joutes et les guéguerres diplomatiques qui nuisent à l’image des deux pays…
Le discours est innovant, inédit même. Un appel au dialogue, sans condition préalable, entre les deux chefs d’état. Ce n’était pas une première, car le même appel fut prononcé un 6 novembre, en 2018, et les Algériens, on peut s’y attendre, n’allaient pas réagir. Le choix de la circonstance cette fois-ci n’est pas anodin, et le contexte est différent.
À l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais ce que les autorités algériennes réserveront à cette main tendue du souverain marocain, mais elle contribue à décrisper l’atmosphère. À défaut de «break through», le discours participe à l’apaisement. Ce n’est pas rien. Si l’histoire peut être utile, la tension du début des années 1980, avec en 1983 un traité de fraternité, de coopération et de bon voisinage entre l’Algérie, la Tunisie, puis la Mauritanie, a succédé un traité contre-nature, dit traité d’Union arabe et africaine, entre le Maroc et la Libye en 1984. Paradoxalement, cette bipolarisation allait préparer à la rencontre entre feu Hassan II et Chadli Benjdid en 1987. Les relations diplomatiques étaient alors rompues à l’époque. Il y eut un dégel : rétablissement des relations diplomatiques en juin 1988, rencontre des chefs maghrébins à Zeralada en marge du Sommet arabe (25 juin) ; ce qui allait baliser la voie à l’UMA en février 1989.
Peut-on espérer un dégel après le discours royal dans un contexte de haute tension entre les deux pays ? Il est permis de l’espérer, ce qui n’était pas le cas avant. Un acte politique, même s’il n’apporte pas ses fruits sur le moment, crée une dynamique. Il est la graine semée qui doit germer avant d’éclore.
Bien sûr que l’histoire ne se répète pas. Mais, il y a une constante inhérente au génie maghrébin, cette propension à la rationalité, qui a donné à l’humanité ses figures de proue, les Saint Augustin ou Ibn Khaldoun. Elle est la meilleure conseillère. Rappelons, au passage, que les conseilleurs (d’hier comme ceux d’aujourd’hui) ne sont pas les payeurs.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane