A considérer l’état du monde aujourd’hui, on pourrait dire que l’histoire a trahi tout le monde. Le neuf novembre 1989, les écrans des télévisions mondiales passaient des images qu’on avait cru au départ relevant de la fiction. Des centaines de jeunes et de moins jeunes, armés de pioches de marteaux et de tout autre outil pointu, étaient en train, dans une ambiance presque religieuse, de détruire ce qui pour longtemps fut appelé Mur de Berlin.
Cette immense barrière était devenue pour nous une réalité absolue. Nous fûmes étonnés. Rares sont ceux qui ne l’ont pas été, car le matraquage médiatique qui a précédé, puis suivi l’événement, relatait inlassablement un narratif qui faisait rêver le monde entier. Or, faire vivre les foules dans un rêve relève surtout de la manipulation. Mais on ne savait pas quels tours magiques les forces occultes de la politique internationale étaient en train de préparer. Tout un travail préalable avait précédé ce moment historique.
Le mot d’ordre fut la confection d’un concept qui a traversé la pensée humaine dès le début des années 1980: la mort des idéologies. En fait et pour ne parler que de la France, l’arrivée de la gauche avec François Mitterrand en 1981 fut aussi un désastre pour la politique et la pensée, aussi bien en France qu’ailleurs. Avant l’ère Mitterrand, les penseurs français étaient au-devant de la scène internationale. Ils étaient même, pour beaucoup dans l’arrivée de Mitterrand à l’Élysée. Il avait l’intelligence ou la malice et la ruse de les ranger de son côté. On se souvient de ses déjeuners ou dîners qui se succédaient avec les noms les plus importants de ce pays. Roland Barthes avait même payé de sa vie à la fin de l’une de ces invitations.
C’était comme s’il avait acheté leur silence, pour ne pas dire leur complicité pour certains. Et comme dans un élan de justification, une campagne de remise en cause s’était déclenchée presque spontanément pour finir par aplatir la scène qui, jusqu’à la fin des années 70, était active, subversive et productive. Après le doute, le scepticisme, un grand relâchement et un ramollissement de la pensée ont laissé la place à l’arrivée d’une vague de pensée outre-Atlantique, plate et franchement rétrograde. Le mitterrandisme a remplacé le socialisme et le communisme devenait de plus en plus un péché lourd à porter et des noms fabriqués par l’argent ont pris la parole. Sur la nouvelle scène publique les médias audio-visuels, BHL comme exemple.
Pour nous autres, qu’on nomme aujourd’hui Sud Global, on a vu les portes du monde riche se fermer devant nous. La France a commencé en 1986 par imposer le visa, et les autres pays ont suivi en s’unissant dans une ligue pour construire un mur administratif et policier. L’écroulement du mur et le discours l’accompagnant ont alors sonné dans l’imaginaire des habitants du Sud comme un espoir de délivrance. On parlait de mondialisation et de libre circulation. On parlait du monde-village. Un nouveau monde naissait pour les artistes, les scientifiques, les étudiants, les touristes…
La révolution des images a accentué le rêve. Dans tous les coins du monde, et par une simple parabole, on pouvait capter toutes les télévisions de la terre et surtout celles des pays riches. Le ciel s’est ouvert sur nos têtes.
Mais ce monde nouveau, fabuleux, ouvert à la circulation n’était, en fait, qu’un monde pour l’Occident. L’effondrement du mur marquait effectivement la fin d’un monde, mais annonçait la naissance d’un autre, celui des pays riches, forts et dominateurs. Un monde unipolaire, celui de l’hégémonie américaine appuyée en cela par les pays européens satellites.
Nous n’avons pas attendu longtemps pour être vite rattrapés par la désillusion. Les promesses commencent à s’évanouir, le projet de la mondialisation s’est vite avéré un projet de commerce et de maîtrise des richesses du monde et les guerres ont terriblement augmenté de férocité.
Voici donc le nouveau monde promis par la chute du Mur de Berlin.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane