Àl’heure où les autorités marocaines, les intellectuels et les médias œuvrent pour stopper le piratage d’une partie de la richesse immatérielle du Maroc, et notamment les traditions visuelles, les jeunes éblouis par les exploits de l’intelligence artificielle sapent ce projet à la base. Des internautes publient à une vitesse vertigineuse des quantités colossales d’images prétendant qu’elles représentaient des Marocains. Ce qui aggrave la situation, c’est que ces prétendus Marocains sont présentés dans des ambiances qu’on dit aussi marocaines. Des marchés, des mosquées, des souks… Ils sont aussi vêtus de costumes, chaussés de babouches ou sandales. Des femmes et des hommes qui manipulent aussi des objets : tapis, tissus, bijoux, ustensiles de cuisine (plateaux, verres, théières), coffres en bois et un grand nombre d’autres objets usuels qui appartiennent à une tradition marocaine, selon ces mêmes personnes qui publient et partagent ces images. Mais, quand on regarde ces images de près, on est frappé par la dénaturation, voire le travestissement de la tradition visuelle marocaine ancestrale. Ces images, fabrication pure et simple de l’intelligence artificielle, sont conçues, réalisées et présentées selon la vision orientaliste, et surtout celle du monde anglosaxon. Quand elle présente le Marocain, il peut être vêtu d’un costume qui ressemble vaguement à la coupe traditionnelle marocaine, mais les couleurs, les motifs et les signes spécifiques à la tradition marocaine sont purement et simplement remplacés par d’autres dont l’origine est l’inde ou la Perse.
Les ambiances chromatiques du Maroc citadin ou rural sont travesties et bourrées de turquoise ou jaune or, de rose indien. Les graphismes et les techniques chromatiques du Maroc sont spécifiques et ne peuvent être confondues avec d’autres.
On sait que l’intelligence artificielle n’invente rien : elle puise dans le stock mis à disposition sur le net. Mais ceux qui alimentent fortement internet ont une idée de l’Arabe, du Musulman et de l’Orient. Dans le monde occidental, européen et surtout anglosaxon et plus spécifiquement américain, l’Orient est une notion et non une aire géographique historique et civilisationnelle. L’Orient s’étend du Maroc au Bangladesh. Ils confondent monde musulman et monde arabe ; et quand ils parlent de la culture amazighe, ils la dissocient de la culture marocaine globale. Cette mémoire biologique a été transmise à la mémoire artificielle. Il en résulte que quand on demande une image du Maroc, on reçoit un mélange du Syrien, de l’Afghan, du Tadjikistan : peu importe, ils sont tous musulmans ou arabes ou orientaux.
Que faire devant un pareil fléau ? Comment préserver les imaginaires de la standardisation visuelle et la perte iconique en cours? Ce phénomène commence à gagner aussi certains magazines. Comment faire alors ?
Collecter, archiver, étudier, et publier ; cela semble le moyen le plus pratique, accessible et à la portée de tous, pour une contre-offensive visuelle.
Par Moulim El Aroussi