À 80 ans passés, Augustin Berque conte sa vie et nous rappelle la mémoire d’un patronyme qui compte dans l’histoire contemporaine du royaume. Fils du sociologue Jacques Berque, Augustin est né et a grandi au Maroc avant de céder à l’appel du Grand Orient. Géographe, philosophe et orientaliste assumé, cet esprit aussi fin que vagabond est une référence au Japon où il a passé une partie de sa vie. Aujourd’hui empli de nostalgie («peut-être d’avoir vécu heureux en trop de lieux divers, qu’il m’a fallu quitter les uns après les autres»), il accepte pour Zamane de renouer avec les souvenirs marocains rassemblés autour de la figure d’un paternel inclassable. Récits intimes d’un exil forcé dans le Haut Atlas, portrait d’une famille atypique et redéfinition d’une certaine idée de l’Orient par l’un des héritiers les moins connus de la mémoire du Protectorat…
Vous êtes né à Rabat en 1942, ex-rue Diderot. En gardez-vous des souvenirs ? Que pensez-vous de Rabat version XXIème siècle ?
Oui, bien sûr, j’ai des souvenirs de la rue Diderot, des souvenirs d’enfant. J’avais cinq ans quand nous l’avons quittée, en 1947. De Rabat en général, je me souviens par exemple que, les jours de chergui, le sable me piquait les jambes à la plage de Temara… Quant au Rabat d’aujourd’hui, je n’y ai fait que deux ou trois brefs séjours, et le dernier remonte déjà à 2005. J’ai toujours en bouche la saveur des sardines grillées mangées au bord du Bouregreg, à l’oreille les claquements de bec des cigognes du Chellah, et aux yeux l’image du Centre Jacques Berque. Mais je ne peux pas dire grand chose de la ville, je la connais trop mal.
Jacques Berque, votre père, est mort le 27 juin 1995 à Saint-Julien-en-Born dans son fief landais. Est-il vrai qu’il a été enterré dans son selham, hérité des années marocaines ? Etait-ce pour lui une façon d’emporter un «bout de Maroc» outre-tombe ?
Je n’étais pas à l’enterrement de mon père, j’étais au Japon où un télégramme de ma soeur aînée Marie-Salsa m’a trouvé, mais c’était trop tard pour que je puisse me dégager de mes obligations envers l’Université qui m’avait invité. Que mon père a tenu à se faire enterrer dans son selham, c’est ce que j’ai appris plus tard de mes frères Maximilien et Emmanuel, qui étaient là et ont porté le cercueil avec leurs cousins. C’était évidemment un symbole de son attachement au Maroc.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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