Il y a une tentation pour le populisme, dirait le sociologue tunisien Hamadi Redissi, dans un excellent travail sur le cas tunisien. Le populisme dispense de comprendre et donne à tout un chacun le droit de juger. Il n’y a qu’à faire. L’enfer c’est les autres. C’est à cause des gros bonnets, les biens placés… Tous les mêmes. Avec une touche locale, on dirait, dans le proverbe arabe : il n’y a pas d’hérisson lisse. La tendance dans le monde est au populisme, et notre monde, que je n’arrive pas à définir, appelé le monde arabe, qui subit les grands mouvements du monde par un léger différé, n’y échappera point. Peut-être que nous sommes dans un avant-goût qui fera tâche d’huile. Ce qu’on appelle par un terme savant : le proto-populisme. Tout commence par ce que Ernesto Laclau, la référence en le domaine, appelle «le moment populiste», un ordre fait de convictions ou d’hégémonie s’écroule, et on cherche à le remplacer par un nouvel ordre «hégémonique». C’est cet interrègne qui constitue le moment populiste. Le populisme existe, non pas parce qu’il y a une offre, mais une demande. Les sociétés sujettes au doute et à la peur, font des représentations simples et simplistes. Sur l’explication de leur décrépitude, d’abord. Puis elles appellent à l’homme providentiel. Et l’homme providentiel est celui auquel on ne pense pas. Un outsider qui n’a jamais fait de politique. Pas de positions préalables qui fâchent. Pas d’appartenance à une famille politique. Pas de référentiel idéologique. Pas d’engagement. Pas de consécration populaire. Il émerge de nulle part. Et, comme dirait le proverbe amazigh, celui qui est emporté par les torrents de la rivière, s’accroche même aux épines qui l’échancrent. Les sociétés jettent leur dévolu sur le premier venu, qu’ils rencontrent dans leurs tourments. Ils lui donnent l’onction.
L’outsider devient le messie et pense qu’il a l’incarnation, à défaut du saint esprit, celle du Peuple. Il faut y croire.
Le populisme, dit-on, est la maladie du siècle, et le monde arabe n’y échappera pas. Le phénomène est encore diffus, comme la nuée, hormis peut-être le cas tunisien, mais par un effet de condensation des nuages (faits de problèmes économiques et sociaux), il se transformera en pluie, ou plutôt en orage.
Que faire ? Laisser passer l’orage ? Oui, pour ceux qui tiennent le gouvernail. Mais quand on a le luxe de brasser les idées, il faut se donner la peine de comprendre le phénomène et ne pas céder à la tentation. Elle est corrosive et négative. Et même des têtes bien faites chez nous succombent à la tentation.
Qui se rappelle du pauvre Rayan, cet enfant qui a péri dans un puits ? Il faudrait être un monstre pour ne pas avoir d’élan affectif, pour le pauvre garçon et sa famille. Eh bien certains, des aiguilleurs de l’opinion à défaut d’en faire, ont brodé sur une tragique histoire, pour distinguer ceux qui sont dans le vrai, et ceux qu’ils ont déclaré «ennemis du peuple».
La cherté de la vie ? La sécheresse ? Haro sur le baudet. Je veux bien que la cause soit une personne, que la solution soit d’immoler cette personne, mais la chose est plus complexe.
Dans un moment populiste, c’est-à-dire un contexte fait de doute et de peur, il est compréhensible, que les couches défavorisées cèdent à la tentation populiste. Ce qui est intolérable, c’est que les têtes bien faites en fassent un levier, oubliant que «le moment populiste» a l’effet de manivelle.
Un homme avisé en vaut… un citoyen. C’est-à-dire un acteur et non sujet.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane