Ibn Batouta est sans doute l’un des personnages les plus connus de notre Histoire. Mais est-il pour autant considéré à sa juste valeur ? Pour le professeur Boussif Ouasti, qui a consacré un livre sur le personnage et son œuvre, la réponse est non. Il nous explique la genèse de l’incroyable périple du voyageur tangérois et nous révèle comment la «Rihla» n’a, en réalité, obtenu ses lettres de noblesse que des siècles après l’ère d’Ibn Batouta.
Pensez-vous que la figure d’Ibn Batouta fait, ces dernières années, un retour en grâce dans la mémoire et le patrimoine marocain, et plus largement dans celui du monde musulman (nom de l’aéroport de Tanger et d’un prix littéraire international) ?
Je pense que nous devons d’abord cette réappropriation de la figure d’Ibn Batouta à des chercheurs de haut niveau qui travaillent le plus souvent dans l’ombre. Au Maroc, c’est par exemple le cas du professeur Dakir Abdennebi de l’Université d’Ibn Zohr d’Agadir, ou de moi-même puisque j’ai écrit mon livre alors que j’étais déjà à la retraite. Mais pour produire, les spécialistes ont besoin d’être sollicités par les médias ou à l’occasion d’évènements pour le plus grand public. Cela arrive que je reçoive de telles sollicitations, mais essentiellement de l’étranger. Vous êtes le premier média marocain à me contacter. Les efforts pour consacrer Ibn Batouta sont hélas rarement suivis sur le long terme. Je me souviens qu’en 2004, le 7ème centenaire d’Ibn Batouta a été organisé à l’UNESCO sous l’égide du Maroc. À la suite du colloque, où étaient pourtant présents tous les Présidents d’universités marocaines, aucune publication des actes du colloque n’est venue synthétiser la rencontre. Quant au prix littéraire du Centre d’Abu Dhabi que vous évoquez, il a en effet aidé à faire connaître cette figure arabo-musulmane dans les pays concernés. Il y a pourtant encore beaucoup à faire, comme par exemple organiser des actions scientifiques et culturelles avec de véritables chercheurs et spécialistes, au Maroc ou ailleurs. Nous pourrions commencer par collecter ses manuscrits pour en éditer de nouvelles versions, mais aussi des traductions dignes de la valeur originale du texte.
Comment Ibn Batouta est-il spécifiquement perçu dans le monde arabo-musulman ?
Il y est un écrivain voyageur un peu différent des autres et ne jouit pas tout le temps de beaucoup d’égards. On peut citer à titre d’exemple l’opinion qu’a de lui l’Egyptien Hussein Moënis, dans son livre «Ibn Batouta et ses voyages, étude et analyse» (1980). S’il reconnaît qu’Ibn Batouta reste un voyageur arabe qui a parcouru bien des pays, il pense néanmoins que le Marocain exagère ses descriptions et ses prouesses. L’auteur égyptien s’indigne par exemple contre les propos d’Ibn Batouta qui ose affirmer que les Mecquoises, après avoir terminé leur «Tawaf» autour de la Kaâba, laissent se répandre dans cet espace sacré un parfum suave. Heureusement, d’autres auteurs plus sérieux reconnaissent la renommée de ce personnage hors du commun.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°141/142