On serait tenté de dire, en épiloguant le dernier best-seller de Yuval Nohah Harari (« 21 lessons for the 21st century »), que le monde est réductible à l’attrait ou à la malédiction, c’est selon, avec quelques arrangements, du chiffre 8 : 1918 avec le rêve communiste, 1938 et l’alternative fasciste, 1968 et la fin du rêve libéral, 1988 et la chute du communiste, et enfin de compte 2008 avec la crise du néolibéralisme. Devant les deux grands défis que furent le communisme et le fascisme, le libéralisme a su naviguer au milieu des récifs et a fini par gagner. Il a subtilisé au communisme l’idée de justice sociale et mis à néant le grand défi que lui a posé à un moment le fascisme. Ne restait que le messianisme socialiste. Mais le Marché a triomphé du goulag. Là, le néolibéralisme, qui repose sur le Marché pur et dur, a du mal à sortir de l’imbroglio conséquent à la crise de 2008. La crise persiste, et aucun rêve ne se profile à l’horizon. Autrement dit, aucune idéologie, avec le déclassement du néolibéralisme, ne se présente comme alternative. Le triste sort de l’humanité, c’est qu’elle vit ce que Harari appelle l’ère des désillusions.
Ce n’est pas qu’on a cessé de croire aux idéaux du libéralisme, nous dit Harari, mais on a du mal à croire en leur valeur messianique. Oui pour la liberté, la démocratie, le marché, les droits de l’homme, mais au sein de la citadelle de l’Occident. Au diable le monde. Au diable, même les chimères comme les fédérations économiques à l’instar de la communauté européenne. Que chacun balaie devant sa porte, quitte même à dresser des murailles, au sens propre et figuré.
La mondialisation (économique) a accouché de son antidote, le repli culturel et civilisationnel. C’est le paradoxe qu’on ne pouvait entrevoir dans l’euphorie de la chute du mur de Berlin, et ce paradoxe a un nom, qui renvoie à un phénomène appelé Trump. Trump n’est pas que Trump. C’est un brin de populisme, avec des relents des néoconservateurs, et une actualisation de l’isolationnisme. Le phénomène fait école en Amérique latine (cas du Brésil) et en Europe. Or, le phénomène, devant le doute qui taraude les couches vulnérables, est appelé à durer. Le monde, et l’occidental surtout, marqué par le doute existentiel, sera marqué par deux sentiments, la panique et la perplexité, nous dit Harari. Le premier est corrosif, le deuxième pourrait être salvateur. En sus des grands déterminants objectifs : la révolution infotech et celle biotech. Il faut maitriser les deux déterminants, le psychologique et l’objectif, pour se frayer sa voie dans un monde sans balise.
Dans ce pavé, agréable à la lecture, Harari nous invite à réfléchir sur des concepts qui ont meublé la saga de l’Occident et qui sont la matrice de la modernité : La liberté, la justice, l’éducation.
Dans ce déballement, il faut se débarrasser aussi des vieilleries, telles le nationalisme, la guerre (ou sa forme militaire). Il ne faut surtout pas, en matière de guerre, nous dit Harari, sous-estimer la stupidité humaine.
Dans ce bateau ivre, Il faut tenir compte non seulement du grand chambardement qui s’opère, avec le déclassement de l’Europe, l’émergence de la Chine, la réapparition de la Russie, mais aussi de ces deux lames de fond : la biotech et l’infotech. Nous avons désormais un partenaire : l’intelligence artificielle, qui risque de devenir « maître » à bord et chambouler bien des acquis ou idées acquises.
Là où on est, nous sommes départagés entre l’infiniment grand de ce qui s’opère sur la grande arène du monde, car cela nous affecte, et l’infiniment petit, notre réalité, avec ses contradictions, ses ambitions, ses contraintes, et que nous ne pourrons saisir, faute d’outils adéquats.
À l’âge de la biotech, et de l’infotech, on est, en matière de recherche et de réflexion, à l’âge de la charrue. L’université est un organe sans fonction. Et je souhaite être dans l’erreur.
À défaut de changer le monde, essayons au moins de le comprendre. Et ce ne sont certainement pas les discours identitaires qui nous aideront à le comprendre, voire à y avoir une quelconque place. Dans le monde moderne, il y a une chose qui ne change pas : le changement. C’est le propre de la bonne éducation, nous souffle encore une fois Harari.
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane