En 2015, le chef du gouvernement marocain, Abdelilah Benkirane, effectue un voyage aux USA. Devant les caméras du monde, il fut reçu par Barak Obama, alors Président des États-Unis et parrain, dira-t-on bien après, des Frères musulmans dont dépend sur le plan idéologique le parti de Benkirane. On ne savait pas si le chef de la Maison Blanche recevait un homme politique marocain ou un agitateur idéologique de la mouvance islamiste de l’Afrique du Nord. Pour cette audience historique, le «frère musulman» marocain a tenu à s’y rendre accompagné de sa femme. Nous n’avons pas eu vent des entretiens, s’ils avaient eu lieu, mais nous avons vu la photo de famille : Barak Obama, dans son costume européen élégant avec même quelques exagérations stylistiques, accompagné de sa femme dans une tenue finement choisie pour ces circonstances, car le couple présidentiel ne posait pas uniquement avec le couple marocain ce jour-là ; c’était une séance photo diplomatique. Le couple américain était fin élancé, à l’aise dans ses baskets, comme le veut l’expression, il se dressait droit et sans complexe.
Au milieu de la même photo, juste à gauche du Président américain, le chef du gouvernement marocain, engouffré dans un costume plouc dont les manches lui dépassaient les phalanges. Il était tassé dans sa tenue, apeuré presque. À sa gauche se tenait sa femme, dans le même état psychologique, enveloppée dans une djellaba au style indéfini, les manches d’une longueur défiant toutes les lois de l’élégance. Elle avait la tête bien serrée dans un foulard du même goût. Ce qui a fait dire à une célèbre styliste marocaine, jalouse de la tradition de la djellaba du pays, que la femme du chef de gouvernement était comme un sac de farine, expression bien marocaine pour signifier l’inélégance d’une tenue.
Les propos de cette dame enflammèrent la toile comme on dit de nos jours. Les jeunes aussi bien de la mouvance islamiste que celle de la gauche, du centre, de la droite comme de l’extrême droite, se sont mis du côté de la dame à la djellaba rose. Des députés de tout bord, des ministres femmes et hommes, bref tout le monde a détourné le débat pour ne plus parler que de l’identité. « Notre costume national », ont crié les uns, « le costume que portaient nos grands-mères et nos mamans qui ont trimé pour nous élever », ont dit d’autres qui semblaient se réclamer de la gauche (marxiste surtout).
Là où la styliste parlait d’élégance, la foule a préféré entendre identité. Bien sûr, si on accepte que la djellaba est un costume national, il y a des manières pour la porter, surtout dans des occasions aussi importantes où les yeux du monde sont rivés sur ce spectacle de défilé de mode de très haut niveau. Souvenons-nous de la Pakistanaise Benazir Bhutto et ses saris splendides, et des épouses de plusieurs présidents africains, qui portaient des costumes nationaux mais ne confondaient nullement une cérémonie hautement diplomatique avec le passage dans un hammam populaire au Maroc. D’un autre côté, M. et Mme Benkirane étaient devant le dilemme suivant : tout en voulant bien profiter de cet écran énorme ouvert sur le monde, ils voulaient marquer les esprits. Comment pouvaient-ils le faire ? Certainement pas par une élégance soutenue, car ils n’en avaient ni l’esprit ni les moyens, ils choisirent alors ce qu’ils savent faire : le misérabilisme populiste. Celui qui marque l’époque marocaine depuis l’avènement de l’idéologie islamiste dans les sociétés arabes.
Ce misérabilisme qui se cristallise par l’aspect extérieur, touche la profondeur de la société. Il la touche quand il efface toute manifestation de la joie et met en avant tous les aspects de la détresse. La société en est profondément atteinte, en témoigne cet élan de solidarité avec la Mama Benkirane où tout le monde (la jeunesse) y a vu la maman sortant tôt de la maison pour prendre le bus et aller trimer à l’usine, en tant que femme de ménage ou comme ouvrière dans les fermes ou encore pour des travaux pénibles et salissants.
Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane