Le Maroc et le monde arabe. Rien que ce binôme, avec une conjonction de coordination indicible, invite à un grand espace de réflexion et de rétrospection. Nous sommes arabes par l’islam, mais nous n’avons jamais cessé de brandir l’étendard d’une part de berbérité culturelle, en cohabitation raisonnable avec une arabité dominante. Cela n’était pas de nature à couler de source, au commencement, même si l’islam a fini par avoir raison, au fil des siècles, des brassages de populations et des nuances ethniques aussi improbables qu’insondables. Depuis, qu’en est-il de notre rapport au monde arabe ? Une vérité première, nous n’en sommes pas une protubérance exogène, à la limite extrême de l’Occident musulman, un peu comme une excroissance de l’histoire.
De l’arabité, nous sommes passés à l’arabisme, puis au panarabisme. Une évolution à la fois voulue et subie. Déjà pendant la lutte contre la colonisation, le commun des marocains, et pas seulement les lettrés, était branché sur la « voix des Arabes », diffusée par la radio égyptienne du Caire. Les séniors se rappellent au bon souvenir de la révolution des officiers libres, en 1952, conduite par un certain Gamal Abdel Nasser. Dans les quartiers populeux des grandes villes, les artisans, sur leurs métiers, avaient une oreille constamment attentive à cet élan de libération prometteuse pour l’ensemble des peuples arabes. L’Egypte était la Mecque politique des peuples arabes en phase d’émancipation coloniale. Un fait historique indéniable qui a laissé suffisamment de traces pour s’inscrire dans la durée. C’était le début d’un panarabisme qui ne nous a jamais quitté. Il en est sorti un produit de militance exacerbée sous la forme du parti Baath. Le baathisme prône ouvertement la prise de pouvoir politique par le coup d’Etat et la violence. C’est son mode opératoire et sa ligne stratégique. Aujourd’hui, le recul aidant, il serait ridicule de dire que nous n’y avons pas adhéré. Dans les confrontations frontales avec le pouvoir central, l’impulsion et la dimension baathistes ont toujours existé. Il en a été déjà fait état, lors du procès pour atteinte supposée à la sûreté de l’Etat, en 1963, pas seulement par le ministère public, mais aussi par le bruissement des coulisses, totalement infiltrées, de l’opposition radicale de l’époque. Il en sera de même pour les tentatives de push du 9 juillet 1971, du 16 août 1972 et du noyau avorté d’une guérilla artisanale à Moulay Bouazza, le 3 mars 1973. Sur toutes ces convulsions douloureuses du Maroc indépendant, le spectre du Baath était présent, particulièrement à travers les courroies de transmission d’idées et de fonds de Bagdad et de Damas. Ce n’était pas seulement une idéologie influente, mais une ramification pénétrante et une logistique convaincante. A plusieurs reprises, le Maroc a failli devenir baathiste. Il serait malvenu de ne pas avouer que nous l’avons échappé belle. Surtout, dans le contexte actuel du printemps arabe, à rebrousse-poil des survivants d’un baathisme avéré ou emprunté, en tous cas moribond.
Youssef Chmirou, directeur de la publication
Le baathisme n’est pas la cause. Les militaires ont emprunté le baathisme comme moyen de légitimer leur action. Mais lire Aflaq prouve fortement une désapprobation pure et dure du militarisme