Le terme «terrorisme», difficile à manier en toute objectivité, recouvre des acceptions très différentes. au Maroc comme ailleurs, l’Etat n’a pas toujours été irréprochable dans sa gestion de la violence politique.
Malgré de nombreuses tentatives, il n’y a jamais eu de consensus sur une définition acceptée par tous du concept de « terrorisme ». Ce terme est souvent utilisé dans son acception la plus péjorative par les forces dominantes du moment pour dénoncer la violence des faibles et des dominés. C’est le cas dans les conflits asymétriques, autrement dit les conflits où une force militaire légale, supérieure et en général étatique, est confrontée à une guérilla menée par un groupe idéologique ou ethnique dissident. Celui-ci, en général, conteste le système défendu par ladite force légale et le rejette comme illégitime, liberticide voire colonial. De nombreux auteurs et chercheurs, spécialisés dans les conflits et leur résolution, dénoncent le caractère subjectif et tendancieux du terme «terrorisme». Laurent Bonelli, par exemple, défend qu’il vaut mieux utiliser le concept idéologiquement plus neutre de «violence politique». Selon lui, cette expression «permet d’éviter les impasses auxquelles conduit immanquablement l’usage [du] terme [terrorisme], politiquement et moralement connoté. En effet, « terrorisme » ne décrit pas une réalité objective, qui s’imposerait à tous».
Même le travail de réflexion effectué par une sorte de comité international de sages et initié par le Secrétaire général de l’ONU, il y a quelques années, n’a pas pu clore les débats et autres polémiques sur la définition du terme: le comité ad hoc n’a pas trouvé meilleure définition que ce vague agencement de mots : « toute action […] qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d’un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d’intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s’en abstenir ». De fait, beaucoup d’actes formellement légaux peuvent entrer dans cette définition. De nos jours, ce qu’on appelle en général dans la presse « terrorisme » désigne tout acte ou ensemble d’actes violents qui vise d’une part, à semer la terreur parmi un groupe social donné – qui peut se confondre, dans les cas extrêmes, avec la population tout entière, considérée comme aidant, par son soutien ou silence, le régime en place. Et d’autre part, à exalter la ferveur guerrière et l’imaginaire de combat de ceux qui sont censés soutenir les objectifs de l’action violente. C’est ce qu’on appelle parfois aussi la «propagande armée» qui, elle, peut être de nature terroriste ou non. Une telle définition exclut bien entendu le terrorisme d’Etat. Pourtant ce dernier a souvent pour objectif de faire accepter le système de domination en place à la société ou à un secteur social ou ethnique donné, par les moyens de la « violence légitime ».
Terreur révolutionnaire
Quant aux origines du concept de terrorisme, ce dont on est sûr, c’est que l’apparition du terme est attestée durant la Révolution française, et plus précisément sous le régime de la Terreur (été 1792 et 1793-1794). L’un des symboles de ce terrorisme d’Etat est Antoine de Saint-Just, intellectuel à la rhétorique radicale et lieutenant-colonel de l’armée révolutionnaire. Il est pourtant le benjamin de la Convention. Il n’a qu’une vingtaine d’années quand il y est élu. Antimonarchiste violent, plusieurs de ses déclarations vont passer à la postérité, comme : « tout roi est un rebelle ou un usurpateur » ou « on ne peut régner innocemment ».
Ce terrorisme d’Etat fait plusieurs dizaines de milliers de morts, dont 16 500 guillotinés. Le nombre des personnes arrêtées dépasse le demi-million. La majorité des victimes le sont par exécutions extrajudiciaires. Cette violence est légitimée au nom du slogan « La patrie en danger », puisque les monarchies européennes se sont coalisées contre la France de la Révolution suite à l’ébranlement du régime royal par la condamnation à mort de Louis XVI en 1792. Ces dizaines de milliers de victimes du régime de la Terreur périssent en un laps de temps relativement court : moins d’une année et demie! Saint-Just, surnommé « l’archange de la Terreur », finira lui-même guillotiné en même temps que Robespierre, le 28 juillet 1794.
Durant les longs mois de la Terreur, l’armée républicaine terrorise les populations civiles, notamment en Vendée. L’une des méthodes les plus efficaces pour terroriser les villageois est, pour les escadrons et autres pelotons républicains, de ne pas faire dans le détail : hommes, femmes, enfants, adultes, armés ou les mains nues, tout le monde y passe. Les fuyards sont rattrapés et massacrés sans distinction aucune et par cruauté gratuite. Ils sont enterrés – quand ils le sont – dans des fosses communes.
Pendant cette guerre de Vendée, les redoutables douze « colonnes infernales » du général Louis-Marie Turreau, comme leur nom l’indique, incendient villages, récoltes et bois sans que l’objectif militaire soit évident. Elles exterminent récalcitrants et rétifs. Il suffit d’être perçu comme royaliste ou catholique engagé. Les enfants paient pour leur parents et vice-versa. Et les voisins pour ne pas avoir dénoncé leurs voisins. Le but de ce terrorisme méphistophélique ne semble pas honteux à l’époque puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de faire de la Vendée (terre royaliste, catholique et conservatrice) un « cimetière national ». On projette même d’y organiser, une fois le travail fini, un repeuplement républicain. Autrement dit, d’y remplacer les autochtones massacrés par des populations loyales à la République. C’est ce qui se passera en Palestine lors de la Nakba, 150 ans plus tard…
Les Assassins et le Vieux de la montagne
Certains spécialistes du monde arabe, souvent cités par la presse israélienne et américaine, ont tenté de faire accréditer l’idée que le terrorisme a des bases culturelles et historiques, en l’occurrence l’Islam et l’arabité. Ils ont essayé de trouver dans le passé de la région les sources d’inspiration des méthodes de Al Qaïda et de Ben Laden. Bernard Lewis, un bon spécialiste de l’Islam médiéval (même si, avec l’âge, son érudition s’est transformée en combat idéologique en faveur de l’expansionnisme israélien et contre ceux qui s’y opposent), rappelle que le terme « fidaï » a été employé pour la première fois au Moyen-âge, en Syrie et en Perse. Ce mot signifie littéralement « quelqu’un qui est prêt à donner sa vie pour un autre. Ce mot désignait les émissaires du chef ismaélien, Hassan Ibn Al Sabbah, le Vieux de la Montagne (à Alamout, au sud-ouest de la mer Caspienne). Leur mission consistait à servir leur maître et à terroriser ses ennemis par le meurtre de quelque personnage éminent. Ils revenaient rarement vivants de ces missions. Parfois visés, les Croisés les ont appelés « hashashin », d’où le mot assassins». Pourquoi hashashin ? Car ils étaient censés consommer du haschish pour conforter leur courage à affronter indifféremment la mort et ainsi terroriser leur ennemi.
D’autres historiens et spécialistes de la région, comme Edward Saïd, ne nient pas ces faits historiques, mais affirment que l’histoire humaine, toutes ethnies et zones culturelles confondues, regorge d’exemples de violence politique extrême, comme le nazisme et le fascisme européens, avec le soutien agissant d’une bonne partie de la population. Par ailleurs, les « Hashashin » étaient une secte ismaélite ultra-minoritaire, et c’est elle qui donnera naissance à la lignée de l’Aga Khan, champion de l’islam pan-humaniste.
Mais certains auteurs pro-israéliens continuent à utiliser la terminologie de la violence d’origine arabe pour signifier que le terrorisme trouve le meilleur terreau culturel et psychologique dans la région. Ainsi, en français, ils se servent de « assassin » qui vient de hashashin, mais font aussi remonter « massacre » à majzara et citent « algarade » (al ghara), « razzia » (rhazoua), etc. Les tenants de l’approche universaliste leur répliquent que la terminologie scientifique européenne regorge également de mots d’origine arabe, comme « alambic » (al inbiq), « alcool » (al kohol), « algèbre » (al jabr), zénith, nadir… Ils en concluent qu’il s’agit tout simplement d’acculturation réciproque et féconde et non d’influence maléfique.
Un exemple de cet usage médiatique de la terminologie d’origine arabe : en 1988, un commando israélien déguisé en groupe de touristes pénètre dans les appartements de Abou Jihad, le numéro trois de l’OLP, dans la banlieue de Tunis, et l’exécute devant sa petite famille de plusieurs balles dans la tête. Interrogé sur cet acte par une télévision française, l’ambassadeur israélien à Paris, Ovadia Soffer, nie l’implication d’Israël dans le crime en expliquant que les Israéliens ne peuvent être des assassins comme les Arabes, puisque le mot « assassin » vient de l’arabe hashashin! Quelques temps plus tard, la presse israélienne révèle que la décision d’éliminer le Palestinien a été prise par le gouvernement israélien. L’élimination physique du leader de la première Intifada palestinienne, qui fut pacifique et donc médiatiquement très gênante pour Israël, a été votée quasiment à l’unanimité (avec l’abstention de Shimon Perez et le vote négatif d’Ezer Weizman).
Du bon usage du terrorisme au Maroc
Les autorités coloniales françaises ont, de la même manière, usé et abusé du terme «terroristes» pour désigner les résistants marocains qui utilisaient des moyens violents dans leur lutte pour que le pays recouvre son indépendance. Cela est notamment vrai durant les années 1953-1955 qui coïncident avec l’exil de Mohammed V et le développement de la lutte armée au Maroc.
Concernant le Maroc indépendant, si on emploie le concept dans son sens le plus large, on peut affirmer que la période oufkirienne a connu des épisodes où le terrorisme d’Etat était largement utilisé pour imposer une unanimité ferrée autour du trône. C’est le cas par exemple durant les journées sanglantes de mars 1965 à Casablanca. Si à cette occasion, la pratique de la terreur est massive et parfois aveugle puisque les enfants y paient un large tribut, en d’autres occasions, cette terreur d’Etat se montre plus sélective. Elle cible principalement les opposants organisés au sein de partis ou de groupes révolutionnaires (ou perçus comme tels par la police politique) : c’est le cas avec l’Union nationale des forces populaires entre 1963 et 1975. De même, les souffrances indicibles imposées aux jeunes militaires internés à Tazmamart n’avaient d’autre objectif que de terroriser non ceux qui croupissaient déjà dans les prisons du roi, mais ceux qui, à l’extérieur des centres de détention secrets, pouvaient être tentés d’organiser une opposition contre le régime. Mitterrand, qui n’avait pas perçu la dimension « pédagogique » de Tazmamart, a parlé à son propos de « cruauté inutile » de Hassan II. Le roi a pourtant fait allusion aux objectifs de cet aspect de sa politique répressive en affirmant au début des années 1970 : « peu importe qu’il y ait quinze millions d’opposants, pourvu qu’il n’y ait pas d’opposition ». Le Maroc comptait alors quinze millions d’habitants. Les pratiques terrorisantes occasionnelles de la police politique contre l’opposition ont continué au Maroc jusqu’aux années 1990. Ainsi des membres de la famille de la personne recherchée – voire ses voisins – pouvaient être arrêtés et torturés, et parfois disparaître à jamais.
Terrorisme et manipulations politiques
Même les années 2000 ont connu un retour – certes limité dans le temps, mais relativement massif – de méthodes policières visant non seulement à éradiquer les tenants de la violence jihadiste, mais à semer la terreur parmi les islamistes qui ne reconnaissent pas la légitimité du régime. Ce sera le cas durant les mois qui suivent les attentats de Casablanca en 2003.
De fait, le 16 mai de cette année, une douzaine de jeunes jihadistes, dont la majorité sont issus du bidonville de Sidi Moumen, se font exploser dans un hôtel, un restaurant (Casa de España), ainsi qu’un centre et un cimetière juifs vides. Alors que les enquêtes officielles démontrent que les jeunes forcenés ne représentent aucun prolongement social, politique ou idéologique significatif, le discours du chef de l’Etat est étonnamment très chargé politiquement. S’exprimant près de deux semaines après les attentats, Mohammed VI annonce des restrictions dans le domaine des libertés publiques et d’opinion. Le roi déclare sur un ton menaçant que « l’heure de vérité a sonné, annonçant la fin de l’ère du laxisme ». Le roi dénonce « ceux dont les idées représentent un terreau pour semer les épines de l’ostracisme, du fanatisme et de la discorde ». Les islamistes, y compris les modérés, sont donc dans le collimateur du pouvoir.
Les semaines et les mois suivants vont démontrer que le régime a mis à profit les attentats pour régler ses comptes avec le courant d’opinion le plus fort au sein de la société politique : l’islamisme réformiste, autrement dit ce courant de l’islam politique déterminé à user des moyens légaux, que ce soit au sein des institutions élues ou en dehors d’elles, pour faire avancer son agenda, c’est-à-dire faire transférer l’essentiel des pouvoirs des mains de la monarchie vers celles du Parlement et du gouvernement, dans la perspective de les contrôler via l’institution électorale. Le symbole de ce courant, Mostafa Ramid, subit de fortes pressions de la part du ministère de l’Intérieur, dont le vrai maître est Fouad El Himma, proche ami du roi. Ce leader du PJD est obligé de démissionner de la présidence du groupe de son parti au sein de la Chambre des représentants. De même, lors des élections municipales qui ont lieu quelques mois après les attentats, on « conseille » au PJD de présenter des candidats dans un nombre limité de circonscriptions. Il a fallu les bonnes relations de Abdelkrim Khatib avec le Palais, et les services inestimables qu’il a rendus à la monarchie durant les périodes difficiles (années 1950-1960), pour que le PJD ne soit pas purement et simplement interdit. De même, suite auxdits attentats, la presse indépendante, dont la majorité est pourtant de tendance libérale, commence à payer les frais de son ton libre vis-à-vis de la monarchie. Les procès, les amendes disproportionnées et les condamnations de journalistes à des peines privatives de liberté se multiplient.
La gauche et les islamistes : Des liaisons dangereuses ?
Les ONG internationales de droits humains, de la liberté de presse et celles qui s’intéressent à la transparence économique et administrative, ont relevé cette rapide régression qui s’accompagne d’un rétrécissement de l’espace de compétition politique. Le paroxysme de cette tendance régressive sera atteint cinq ans après les attentats de Casablanca. Deux événements politiques symbolisent ce point culminant: l’arrestation des leaders d’un parti islamo-libéral (Al Badil al Hadari), accusés de menées terroristes et de la constitution d’un parti d’Etat à l’initiative de El Himma, le PAM. Ce dernier a entretemps démissionné de ses fonctions au sein du ministère de l’Intérieur pour se consacrer à l’activisme politique. Les deux événements seraient liés. Un dirigeant important du PAM nous a d’ailleurs récemment affirmé qu’il avait proposé au secrétaire général de Al Badil Al Hadari d’adhérer au PAM quelques jours avant son arrestation.
Les dirigeants d’Al Badil ne sont pas les seuls arrêtés, ils font partie de ce qui entrera dans les annales politiques marocaines comme le groupe des « six politiques ». De fait, ce n’est pas un hasard si ledit groupe représente les tendances qui, tout en acceptant le régime, tiennent un discours oppositionnel qui, à la longue, devient corrosif pour la légitimité du système en place: le PSU, le PJD, Al Badil, Al Ummah. Al Badil est particulièrement visé puisqu’il est en même temps dissous et ses deux dirigeants les plus importants arrêtés. Car il représente, depuis sa reconnaissance officielle trois ans auparavant, ce lien – jusqu’ici introuvable – entre la gauche laïque et l’islamisme.
Inhabituelle prudence des médias
Son discours comme ses activités politiques sont centrés sur l’objectif de créer un « pôle démocratique », qui réunirait les principales tendances de l’opinion publique favorables à la transformation du régime marocain en une monarchie réellement parlementaire. Ses deux leaders sont condamnés à vingt-cinq ans de prison par le tribunal de première instance de Rabat lors d’un procès jugé inique par Human Rights Watch, Amnesty, l’AMDH et l’OMDH. Cette peine sera réduite à dix ans avant qu’ils ne soient libérés suite au déclenchement du « Mouvement du 20 février ».
Ces conséquences politiques des attentats du 16 mai et l’usage qu’en ont fait les forces conservatrices au sein du régime, incarnées entre autres par la DST et le leadership de la Gendarmerie royale, ont rendu l’opinion publique très suspicieuse concernant tous les actes de terrorisme. Ainsi, lors du récent attentat qui a coûté la vie à 17 personnes à Marrakech le 28 avril, la presse, même la plus anti-islamiste, est restée très prudente quant à la source d’inspiration de l’attentat. Le journal Al Ahdath Al Maghribiya par exemple, qui avait pris la tête des pourfendeurs de l’islamisme toutes tendances confondues lors des attentats de Casablanca de 2003, s’est montré circonspect et professionnel après la bombe d’Argana. Lors de son premier éditorial après l’attentat, le quotidien laïcisant a appelé à la poursuite des réformes démocratiques et n’a fait aucune allusion à l’islamisme ou à ses responsabilités morales ou politiques supposées. De même de nombreux sites internet accusent, sans preuve aucune, des forces obscures au sein de l’Etat… Ainsi, l’usage politique et médiatique abusif par l’Etat des actes de violence perpétrés par d’autres mais isolés, peut à la longue se retourner contre lui. Car depuis Lénine tout le monde se pose la question : à qui profite le crime ?
Par Maâti Monjib
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Mohammed Nouri
Biographie
Nouri Mohammed marocain 77 ans retraité des P.T.T marié père de enfants adresse Hay laayoune no 24 rue 63 Casablanca 20500 Maroc
Les bourreaux des jours ambigus en 56
Les bourreaux des jours ambigus en 56
ISBN : 9782332597144
Prix livre papier : 17,50 €
Prix livre numérique : 10,50 €
Collection : Classique
Thème : Témoignage
Nombre de page : 136
Créée le dimanche 07-02-1954 par Zikila, l’organisation « Les Fils de Mohamed cinq » était composée de 13 membres pour combattre le colonialisme qui avait occupé notre pays et qui avait exilé notre père spirituel le sultan Mohamed ben Youssef. Ce journal était resté dans un tiroir pendant 54 ans en confidentialité pour des raisons forcées .En 2007, il était recopié en un livre de 142 pages et 32 chapitres, témoignant des évènements choc des années 1947-52-53-54-55 et les boucheries des jours ambigus en 56 dont les victimes étaient les chefs et les membres des deux organisations libératrices du royaume du Maroc.