On ne veut pasl’appeler mondiale, mais la guerre russo-ukrainienne a tout l’air de l’être. Elle rentre dans une nouvelle phase, avec la menace nucléaire, ou ce qu’on appelle «la sale bombe». La première victime dans une guerre est la vérité, comme disait le stratège allemand Clausewitz, et je ne peux me hasarder à faire l’écho, ni de la version russe, ni celle du «collectif de l’Occident», selon la rhétorique russe.
Depuis Hiroshima et Nagasaki, on avait pensé que l’arme nucléaire était le monstre qui n’existe pas, dont on faisait peur grâce à cette ingéniosité qui s’appelait «l’équilibre de la terreur», ponctué par des moments de détente, ou des appels à la coexistence pacifique, voire au contrôle de la course aux armements. Que c’est vieux tout cela, avec ces rencontres start one, two, salt, qui nous donnaient, alors étudiants, le tournis… On savait, il y a quatre décennies, par ces acronymes rébarbatifs, qu’on était à l’abri d’une aventure nucléaire.
Nous n’y sommes plus. Deux discours montrent que la menace nucléaire est réelle, et qu’on ne peut se remettre à «l’équilibre de la terreur» pour conjurer le mal. Le premier, celui de Poutine devant le club Valdaï, le 27 octobre 2022, où il décline pour la première fois les raisons de la guerre, qui ne sont pas que territoriales, critique le «collectif de l’Occident, impérialiste et exploiteur», le tient pour responsable de la sale bombe, et au passage rappelle que ce sont les états-Unis qui ont usé de la bombe nucléaire. Le discours est en contradiction avec un précédent, quand le chef du Kremlin avait spécifié que l’usage de l’arme nucléaire, en cas d’attaque, y compris dans les territoires annexées dans le Donbass, n’était pas un bluff. Bref, il fait un clin d’œil à la Chine, sur ces revendications sur Taiwan, qui est «une partie intégrante de la Chine», rendant au passage les sociétés occidentales responsables de fautes systémiques, avec ce qu’il appelle le «cancel culture», c’est-à-dire le refus de l’Autre, de sociétés qui se prétendent ouvertes. Il ratisse large, dans la guerre civilisationnelle en perspective, contre «le collectif de l’Occident».
La réponse ne s’est pas fait attendre, et elle vient du secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin : la Russie est une menace sérieuse, mais elle ne fait pas le poids face à Washington. Le grand défi est la Chine. Et il n’est pas que militaire, entendons-nous.
C’est le deuxième temps de la guerre, où on entre dans une nouvelle phase : soit que la raison puisse prévaloir face à la menace planétaire, en faisant preuve d’ingéniosité pour conjurer la menace, et pourquoi pas arrêter la guerre ; soit c’est l’aventure, qui revient à mettre le monde en péril. Doit-on laisser les grands décider de l’issue du monde, alors qu’ils ont longtemps décidé pour son devenir ? Les quelques folies de grandeurs des uns et des autres, valent-elles plus que le droit des 4/5 de l’humanité à la vie ?
Les petits, à défaut d’armements de destruction massive, peuvent faire valoir l’arme morale, car face au péril de la fin, il n’y a ni grand, ni petit. Les meilleures guerressont celles qu’on gagne sans les avoir livrées, comme disait le stratège chinois Lao Tseu. Et si on revenait à ce genre de guerre, sans bataillons, sans armes, juste quelques joutes oratoires, et des jeux factices, qui, au final, n’endeuillent personne ?
Mais qui écouterait les élucubrations de rêveurs de mondes qui ne comptent pas. Les Nations-Unies, quelle supercherie ! Depuis quand elles ont été unies ? Les voilà déchirées. Et si signifiant et signifié concordaient, pour chaque mot ! Voilà une guerre juste : donner un sens aux mots, et libérer le monde du Novlangue, où, dans une tournure orwellienne, les mots signifient la chose et son contraire. Si, entre temps, l’arme nucléaire ne met pas fin à nos jours, déjà qu’elle claustre nos rêves.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane