Le Maroc fête en ce mois de novembre le 67ème anniversaire du retour d’exil de Mohammed Ben Youssef. Prélude à l’indépendance du pays, cet évènement majeur de notre histoire a fait l’objet d’un discours mémorable du souverain où il invite son peuple à passer «du petit au grand jihad». Décryptage…
«Du petit au grand jihad». En l’espace de 67 ans, cette phrase est devenue un symbole que se lèguent les rois du Maroc de génération en génération. Le père de cette phrase, mais aussi de la jeune nation marocaine, l’utilise une première fois lors d’un discours entré dans l’Histoire du royaume. Le 18 novembre 1955, deux jours après un retour triomphal d’un exil qui aura duré plus de deux ans, Sidi Mohammed Ben Youssef s’adresse à son peuple en liesse. Tandis qu’il annonce l’imminence de l’indépendance du Maroc, le souverain prévient son peuple : «Nous sommes passés de la bataille du petit Jihad à celle du grand Jihad». Par cette expression, le sultan invite son auditoire à ne pas se reposer sur les lauriers frais de la victoire contre l’occupation coloniale, et à se projeter rapidement sur l’avenir du pays et les moyens de le développer. Fidèle à ses références religieuses, le souverain marocain emprunte cette célèbre expression au Prophète Muhammad lui-même. Le corpus de la Sunna y fait référence lors de l’épisode de la libération de la Mecque par l’armée du Prophète en 630. Loin de se contenter de ce succès militaire, ce dernier prévient sa communauté que le gain d’une bataille ou d’une guerre n’est pas une fin en soi. Le Prophète entend par là que le «grand jihad» est celui qui permet à une société mais aussi à l’individu, de se surpasser en fournissant des efforts pour un développement et un progrès durable. Une cause, qui surpasserait donc les autres dans un dessein collectif. L’expression refait surface à l’occasion d’un autre discours royal, celui de Hassan II le 20 août 1973. Le monarque, qui axe son propos sur la problématique du Sahara, évoque le souvenir de son père : «Nous Nous souvenons tous de ce que notre père béni, Mohammed V, que Dieu accorde la paix à son âme, a dit à maintes reprises, à son retour d’exil, à la suite de la parole de son grand-père (aïeul, le Prophète ndlr), que la prière et la paix de Dieu soient sur lui : Nous sommes revenus du petit djihad pour mener le grand djihad». Cette fois, l’effort collectif demandé par le souverain consiste à militer pour la récupération des terres coloniales, le Sahara étant toujours sous occupation espagnol, dans l’intérêt de l’intégrité territorial du Maroc. Bien plus tard, lors de son discours du 20 août 2019, Mohammed VI reprend à son compte l’expression en rendant hommage à son grand-père, puis à son père : «Sa Majesté le Roi Hassan II, fit honneur à cette parole, en dédiant sa vie à l’édification d’un État marocain moderne, doté de véritables institutions démocratiques et guidé par des choix clairs en matière économique, sociale et de promotion des droits de l’Homme». L’actuel souverain avait, quant à lui, axé son discours sur les besoins de réformes économiques pour un pays en transition. À chaque roi son cheval de bataille mais tous, sous la bannière d’un «jihad» qu’ils espèrent le plus grand possible.
Par Sami Lakmahri