En tant que président du CCME, Driss El Yazami est au cœur du débat sur la binationalité au Maroc. Dans cet entretien, il revient sur la politique marocaine réservée aux détenteurs de double passeport, mais aussi leurs craintes et leurs aspirations. Pour lui, il est injuste de douter d’une loyauté à l’heure où le monde se livre à une féroce compétition pour les compétences qui, elles, n’ont pas de nationalité…
Selon vous, est-il légitime d’associer les mots «binationalité» et «loyauté» ?
Je conçois qu’il y ait un débat civique et académique sur la nationalité et la binationalité. Ils sont même nécessaires, d’autant plus que le phénomène de la pluri-nationalité semble se répandre dans le monde, et je dis bien «semble», car je ne crois pas qu’il y ait de données précises et fiables sur ce dernier phénomène. Mais je pense que la manière avec laquelle le débat a surgi au Maroc est réductrice et inutilement polémique. Elle a même été ressentie comme blessante par de nombreux compatriotes, et je les comprends. Mais la discussion sereine et informée est à encourager. Nous avons une importante communauté à l’étranger, qui s’enracine dans les pays de résidence comme le révèle, entre autres indicateurs, son appétence pour la naturalisation. Pour les enfants de l’immigration, c’est encore plus complexe : ils appartiennent à d’autres nationalités de droit, mais aussi par la culture. Et ils sont, me semble-t-il, autant attachés au Maroc qu’aux pays où ils sont nés et ont été élevés.
Êtes vous un «binational» ? Si oui, vous sentez-vous personnellement visé par la polémique résurgente sur la loyauté des binationaux envers le Maroc ? À votre connaissance, ce genre de débat existe-il ailleurs ?
Je suis incontestablement de culture française et attaché à double titre à cette culture : pour sa richesse et parce qu’elle m’a permis l’accès à d’autres cultures. Mais je n’ai jamais sollicité la nationalité française ! Je ne suis donc que Marocain et ça me va très bien. Mais la loyauté à l’égard d’un pays ne se mesure pas, me semble-t-il, à l’aune d’un document d’identité, mais par l’ambition qu’on porte pour ce pays, pour l’Etat et la société, et l’investissement qu’on met au service de cet idéal. Et cet idéal patriotique n’est pas en opposition avec l’attachement qu’on porte aux droits de tous les êtres humains, quelle que soit leur nationalité, s’ils en ont une ou pas du tout, puisque l’apatridie existe. Pour parler des autres pays, la France a connu un très grand débat sur cette question à la fin des années 1980, autour de la nationalité des enfants d’immigrés qui deviendraient, disaient certains, Français «automatiquement», «sans le savoir» et «sans en exprimer publiquement et volontairement l’intention».
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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