C’était au début des années 1990, jeune diplomate à l’époque, lors d’une discussion à la résidence de l’ambassadeur marocain à Alger, M. Abdelkader Benslimane, avec un jeune directeur du commerce extérieur, qui a fait du chemin depuis, quand ce même technocrate m’aborda, me disant que les nations qui ont une histoire finissent par rebondir. Je n’étais pas d’accord, faisant mienne la réflexion de l’historien Laroui : les nations qui sont sorties de l’histoire n’y reviennent plus. Aujourd’hui, je donne raison à mon interlocuteur d’antan. Sa foi inébranlable en la mondialisation le faisait hermétique à tout débat sur la question. Il s’est trompé sur ce chapitre, mais là n’est pas le sujet. Il avait raison sur l’essentiel. Et j’avais tort.
L’Histoire n’est pas forcément un carcan, et les nations imprégnées de sa sève finissent par retrouver leur voie. On est suffisamment édifiés par les exemples de la Chine, de l’Inde, de la Turquie. Le contre-exemple est l’Egypte, mais nous ne disposons pas de suffisamment de recul pour émettre un jugement là-dessus.
L’Histoire n’est pas qu’un savoir, mais un esprit, elle n’est pas qu’un legs, mais une vision du monde. Les nations imprégnées d’histoire ont cette propension à l’ouverture, tout en s’agrippant à la tradition. La nation la plus libérale de l’Europe est la britannique, mais c’est aussi la plus traditionnelle. Le génie commence, pour les individus comme pour les nations, à marier les contradictions. Ou ce qui semble être une contradiction. La vie n’est-elle pas truffée de contradictions ? Seuls les esprits simples et les simples d’esprit languissent pour la clarté et refusent la contradiction. Contradiction ne veut pas dire incohérence, bien sûr.
Mais le mariage entre ouverture et tradition ne va pas de soi et exige, au préalable, un état d’esprit, à savoir la confiance en soi et un minimum de confiance avec son prochain.
Ce que je présente de manière décousue a été savamment étudié, par Francis Fukuyama, dans un travail sur ce bien immatériel, qui est la confiance. Il faut un seuil de confiance entre gouvernants et gouvernés pour qu’il y ait contrat social ; un seuil de confiance entre acteurs économiques pour qu’il y ait essor ; un seuil de confiance entre maîtres et apprentis pour qu’il y ait savoir ; un seuil de confiance avec ses voisins pour qu’il y ait paix.
Confiance bien ordonnée commence par soi-même. Nous sommes d’accord, et le Marocain retrouve ce sentiment de confiance, dont les peuples qui ont été dominées en ont été délestés pour longtemps. Il se dégage lentement de ses carcans, sans tambour ni trompette. Ce n’est pas suffisant. Il faut que les peuples soient libres aussi. Et ils sont libres quand ils jettent par-dessus bord ce qui les entrave. Vaste programme. Certains ont privilégié la discipline, mais c’est une recette qui n’a pas fait long feu sur le long terme, et la liberté n’est forcément synonyme d’indiscipline. Tout au contraire. Ne sommes-nous pas en train de rêver qu’on est en rêve ? L’éveil n’est pas si loin, disait Novalis… La belle affaire.
Ce qui est marquant, dans le cas marocain, ce sont les masses qui fraient le chemin et non les élites. On devra procéder à un ajustement, mais d’ores et déjà nous sommes d’accord sur l’essentiel : In Morocco we trust. Le reste suivra.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane