Cette année, Jaguar célèbre le cinquantenaire de la Type E. Un coupé à la carrosserie intemporelle imaginé par le père fondateur de la marque au félin.
Au-delà du fait d’être une Jaguar, la Type E suscite l’émotion parce qu’elle fait partie de ces voitures qui font rêver, ou du moins, ont fait rêver toute une génération. Grand public, passionnés et VIP se sont longtemps épris de cette belle anglaise lancée il y a précisément cinquante ans, dans une Europe des Sixties rythmée par les Beatles et libérée par la mini-jupe.
Bien évidemment, la gestation de cette voiture de sport avait démarré quelques années plus tôt, même si les XK, coupé et roadster étaient toujours de service et au firmament en compétition. Forte de ses victoires aux 24 Heures du Mans, Jaguar n’allait pas attendre le vieillissement de ses fleurons sportifs. C’est pourquoi Sir William Lyons, le père fondateur de la marque féline, avait décidé de préparer en secret le modèle qui assurerait la relève.
Une tunique unique
Ce n’est autre que Malcolm Sayer qui fut chargé de dessiner le véhicule. Un challenge de taille lorsqu’on sait que celui-ci n’était pas un designer de formation, mais un ingénieur en aéronautique qui avait fait ses preuves chez Jaguar en travaillant sur deux de ses modèles à succès (en compétition), la Type C et la Type D. Pour William Lyons, la Type E se devait d’être élancée, rapide et abordable. Un cahier des charges auquel l’ingénieur s’est remarquablement conformé, comme en atteste la ligne extérieure de la Type E, présentée d’abord dans sa version coupé. Parmi ses arguments de charme, un cockpit reculé derrière un interminable capot bosselé au milieu, ainsi qu’un pavillon bas et fuyant vers une poupe biseautée. La pureté de ses courbes comme le bon équilibre de ses proportions, allaient d’emblée faire de la Type E une silhouette unique et accrochant le regard.
Tel est le constat qui prévaut le 15 mars 1961, jour de sa présentation à la presse mondiale en avant-première, en marge du salon de l’automobile de Genève. Réunis autour du véhicule – et de son maître – sur le parvis du restaurant Parc des Eaux Vives (à Genève), journalistes et photographes immortalisent cet instant par l’objectif comme par le stylo. Tous sont envoûtés et désireux de la tester sur un parcours de course. Un moment de délectation pour William Lyons, qui enfonce le clou en dévoilant les performances routières de la Type E, ainsi que son prix étonnamment bas. En effet, mue par un six cylindres en ligne de 3,8 litres de cylindrée et de 265 chevaux de puissance, la Type E pouvait pointer à 240 km/h, ce qui en faisait la voiture de série la plus rapide du monde ! Même une Porsche 356 n’avait pas autant de vélocité, que des Ferrari pouvaient en revanche revendiquer. Or, pour acquérir ce pur-sang anglais, il ne fallait à l’époque que 2 256 livres sterling, soit l’équivalent aujourd’hui de 38 000 livres (45 500 euros). Plutôt accessible pour une sportive de cette trempe.
Coupé, cabriolet et version US
Après avoir fait sensation sur le stand helvétique de Jaguar, la Type E entame l’une des plus belles carrières commerciales dans l’histoire de l’automobile sportive. Disponible d’emblée en versions coupé et cabriolet, la toute première série brillait par sa légèreté (environ 1,2 tonne) et avait pour spécificités intérieures, un plancher plat, deux sièges baquets, ainsi qu’une console centrale en aluminium bouchonné et aux commande de type « aviation ».
Dès l’année 1964, les évolutions commencent. Sous le capot, tout d’abord, avec l’arrivée d’un 4,2 litres (à double arbre à cames en tête) en remplacement de l’ancien bloc, associé à une nouvelle boîte de vitesses. Deux ans plus tard, l’auto est déclinée en 2+2 (quatre places) et surfe toujours sur le succès auprès des acheteurs, carrément euphoriques aux Etats-Unis. Mais pour décrocher un visa commercial sur le marché américain, il lui faut répondre aux sévères exigences réglementaires qui y sont en vigueur. C’est donc un ensemble de modifications techniques et esthétiques qu’apporte, dès 1968, la deuxième série de la Type E. L’auto perd le carénage vitré de ses phares et voit ses pare-chocs chromés rehaussés, tandis qu’à l’arrière, les clignotants passent sous le pare-choc et des répétiteurs de feux latéraux font leur apparition. Mécaniquement, le nombre et l’origine de ses carburateurs changent (deux au lieu de trois), afin de diminuer la puissance et la pollution de l’engin.
Pourtant, c’est bien pour ce même marché américain que sera lancée, en 1971, la version V12 (douze cylindres), dont la puissance ne progresse que légèrement, à 268 chevaux. La Type E, elle, évolue de nouveau, notamment en recevant une large prise d’air ventrale grillagée, utile au refroidissement d’un si gros moteur (5,3 litres).
Une œuvre d’art pour les stars
Mais qu’importe le flacon, la Type E a du charisme dans toutes ses versions. Les néophytes la remarquent, les passionnés l’adorent et les stars l’adoptent. Parmi les célébrités les plus admiratives, citons Brigitte Bardot, Tony Curtis, Steve McQueen ou encore le célèbre pilote automobile anglais Jackie Stewart. Même un grand nom de la concurrence, comme Enzo Ferrari, avait été lui-même subjugué par la Type E au point de la qualifier de « plus belle voiture jamais construite ».
L’année 1975 sonne le glas pour la Type E, qui se termine par la production d’une série limitée de 50 cabriolets, tous noirs et porteurs d’une plaque commémorative en cuivre. Au total, cette Jag’ aura été produite à plus de 70 000 exemplaires en un peu plus de 14 ans de carrière, ce qui est loin d’être négligeable. Cinquante ans plus tard, la Type E fascine toujours autant le commun des mortels. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si elle est devenue une pièce d’exposition permanente au muséum d’art moderne de New York (MoMA).
Ian Callum, l’actuel directeur du design chez Jaguar, a notamment déclaré : «la Type E était une voiture qui incarnait tout l’esprit de cette ère révolutionnaire dont elle est devenue un symbole. Le design de la Type E continue, aujourd’hui encore, à influencer le travail stylistique que nous faisons sur les Jaguar de l’avenir». Et justement la marque au félin, qui fête cette année le cinquantenaire de ce modèle, songe sérieusement à enfanter une descendance à la Type E qui avait été remplacée par la XJS, puis par les successives générations du XK. De l’avis des puristes et des «jaguaristes», aucune Jaguar ne remplace la Type E.
Par Alain Delaroche