Écouter la chanteuse Kharboucha ne se dissocie point de son histoire personnelle et artistique. On rapporte qu’elle a tenu tête au tyran de Abda, le dénommé Caïd Issa Ben Omar El Abdi, dont la cruauté fut légendaire. En fait la zaïdia, de la tribu Ouled Zid que certains chroniqueurs situent aujourd’hui sur les rives de Oued Oum Errbiaa non loin de Boulaouane, avait composé des chansons pamphlétaires à l’adresse du célèbre caïd. Issa Ben Omar avait exterminé une partie de la tribu de Kharboucha, rapportent les chroniques mélangées à des mythes souvent plus anciens que l’histoire de la chanteuse et du célèbre caïd.
Dans certains, on retrouve effectivement les traces de litiges entre des tribus rebelles de Doukkala et le Caïd chargé par les sultans de recueillir les impôts. Mais l’histoire de Kharboucha a été moulée dans des récits qui ressemblent souvent à d’autres plus ou moins connus dans la tradition orale marocaine. S’agit-il d’une histoire fictive et d’une pure invention de l’imaginaire populaire ?
Mais d’où viennent donc ces chansons que beaucoup répètent, avec fierté et sans se lasser. Un répertoire complet que chantent aussi bien les chikhates que de jeunes chanteuses et chanteurs modernes en essayant de les adapter à des situations de contestation contre l’injustice qu’ils vivent ou qu’ils croient vivre actuellement…
Il faudrait le dire, les chansons de cette dame, réelle ou fictive, ont repris de l’importance depuis la sortie du film Kharboucha de Hamid Zoughi en 2008. Le scénario du film a tenté de reconstituer le mythe en s’appuyant sur des textes souvent récents. Il a essayé de reprendre plusieurs bribes de textes des chansons souvent attribuées à ce personnage. Le film a réussi à remettre sur scène plutôt l’histoire de la cruauté d’un caïd que la vérité historique de la chanteuse. Il a recréé le personnage, il l’a chargé de valeurs et de qualités à la lumière de notre époque. La vraie Kharboucha s’est glissée derrière l’image qu’en a donné le film. Les paroles de la chanson semblent avoir été moulées dans un langage qui répond aux attentes de notre époque.
Ainsi donc on retrouve des paroles et des compositions musicales nouvelles, même si elles se sont fortement inspirées de l’ambiance de la fin du XIXème et du début du XXème siècle au Maroc. La chanson qui circule aujourd’hui au nom de Kharboucha est un pur produit du film en question. Les paroles ont, semble-il, été composées par Khalid Khoudari, un critique de cinéma, et la musique composée par Bouchaib Jdidi, connu des milieux de la musique à Casablanca. Les noms des deux auteurs ont été malheureusement omis du générique du film. L’image en noir et blanc qui accompagne souvent la chanson de Kharboucha est une photographie coloniale, qui n’a absolument rien à voir avec Hadda Zaïdia (Kharboucha).
Par la force de l’image filmique, la fiction est devenue réalité et les récits aussi bien populaires que savants continuent à s’agglutiner autour d’un noyau presque vide ; celui d’un personnage fictif.
Par Moulim El Aroussi