L’auteur de ces lignes se souvient de ce jour, au début des années 2000, où face à l’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri, et à la question de comprendre la montée du wahhabisme au Maroc, il a eu à peu près la réponse suivante : «Quand, en 1979, Khomeiny a renversé le Shah d’Iran, nous avons dû activer nos réseaux. Hassan II voulait que l’on prenne les devants. D’où la décision d’encourager le wahhabisme au Maroc. C’était une réponse politique avant d’être religieuse».
D’autres décisions ont suivi, dans le même but de réislamiser/retraditionaliser la société marocaine. La suppression des départements de philosophie, remplacés par les études islamqiues, rentre dans ce cadre. Avec, au passage, l’objectif de réduire l’influence de la gauche dans les universités marocaines.
À partir de là, on peut imaginer la chaîne de conséquences directes et indirectes du cauchemar causé par Khomeiny. Y compris la domestication du mouvement des frères musulmans marocains, et son instrumentalisation pour contrecarrer la gauche (anathèmes jetés en public contre les leaders de la gauche, assassinat de Omar Benjelloun, etc.).
Ce qui a été entrepris au Maroc, dans le but de neutraliser Khomeiny et éviter de le voir « exporter » sa révolution chiite, résolument hostile aux monarchies sunnites, l’a été de diverses manières dans diverses régions du globe, et pas seulement dans le monde dit arabe. Sans l’irruption de Khomeini, l’Amérique et ses alliés européens et arabes n’auraient probablement jamais poussé Saddam dans une guerre qui compte parmi les plus meurtrières et stupides du XXème siècle: celle qui a opposé l’Irak à l’Iran (1980-1988).
On peut même aller plus loin pour voir comment Khomeiny et les Mollahs de Téhéran, alors en contact avec certains opposants marocains en exil (lire notre dossier du mois), ont plus ou moins envisagé la possibilité de renverser la monarchie…
Driss Basri et Hassan II avaient donc raison. On comprend mieux leurs insomnies et leurs longues marches sur les terrains de golf, quand le souverain et le vizir devisaient avant de prendre les décisions qui allaient se transformer, dès le lendemain, en politique d’état.
Au Maroc comme ailleurs dans le monde, l’avènement de Khomeiny a entrainé une telle cascade de bouleversements majeurs que l’on parle aujourd’hui d’un avant et d’un après Khomeiny. Et pas seulement pour l’Iran. Bien entendu, on peut considérer aussi que même la guerre plus ou moins déclarée à laquelle se livrent aujourd’hui l’Iran et Israël vogue dans la même galère… Khomeiny encore et toujours. Et pourtant !
Si Khomeiny a contribué à jeter une partie du globe dans un précipice qui semble sans fin, il ne sert à rien de tout mettre sur son compte.
Au Maroc, la « réislamisation » ou, pour être plus juste, la retraditionalisation, a commencé bien avant Khomeiny : à la fin des années 1960, le défunt Hassan II avait décidé de généraliser l’enseignement dans les Msids (écoles coraniques), alors que Mohamed Chafik venait de lui remettre un rapport où il recommandait de les supprimer !
De même que la « lutte » contre la philosophie et les disciplines dites critiques (sociologie) n’était pas seulement une démarche anti-Khomeiny. Ce combat d’arrière-garde a été lancé au nom de la stabilité intérieure, appauvrissant au passage l’école marocaine, avec un passif que l’on n’a pas fini d’éponger aujourd’hui encore…
Moralité de cette histoire ? Le Maroc n’a probablement pas attendu Khomeiny pour foncer dans une voie parsemée d’embûches. Le reste du monde, non plus…
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction