Il y a plus de dix ans eut lieu ce que la presse avait appelé le soulèvement des jeunes au Maroc. Des personnes de plusieurs âges avaient décidé qu’elles étaient jeunes et qu’il leur revenait, de droit, de s’attribuer la participation à ce mouvement. Cette foule disparate, de différents métiers, préoccupations, idéologies et âges, avait décidé de se faire appeler jeunesse, et avait presque décrété l’interdiction de l’immiscion des vieux dans cette affaire. La mise à l’écart des prétendus vieux ne fut pas votée lors d’une assemblée générale, elle ne figurait dans aucun document officiel, car le mouvement n’avait pas de structure. Mais de bouche à oreille et via les médias, l’idée avait creusé son sillon et était devenue une loi absolue.
Au Maroc, et dans le monde, on agite le concept de jeunesse quand on veut donner l’impression que le pays vit un changement. Ce discours, souvent populiste, tend à montrer que ses détenteurs sont du côté du progrès. En effet depuis la Renaissance et l’élaboration du concept de Progrès, l’Europe, surtout, a donné une grande importance à l’enfance. On y voyait la garantie de l’avenir, le futur de l’humanité en l‘opposant à la vieillesse assimilée au passé et donc vouée, pour cette même philosophie, à la disparition selon les règles de la biologie.
Mais si l’enfance peut être située dans le temps de vie d’un être humain grâce à la naissance, la jeunesse par contre n’a pas un moment qui la définit. Il y a énormément de difficultés à la cerner du fait que la jeunesse est un âge transitoire vers l’âge adulte, et que la situer dans un laps de temps de la vie de l’humain est souvent tributaire des époques et des cultures de chaque société.
Où commence et où s’arrête la jeunesse ? Aucune science ne s’est occupée à définir ces moments. Par contre la politique, le commerce, le monde de la grande consommation en général, en use largement. Tout laisse croire que le découpage ternaire (jeunesse, adultéité, vieillesse) était l’œuvre des sociétés industrielles européennes du XIXème siècle. Ces mêmes sociétés ont institutionnalisé un parcours de vie qui associe étroitement l’âge adulte au travail, la jeunesse à la formation et la vieillesse à un statut nouveau d’arrêt de travail et de retraite payée. Mais en politique on est toujours plus jeune que celui qu’on cherche à remplacer.
De son côté, le commerce définit la jeunesse comme une catégorie de consommateurs qui commence dès les premiers prémices de la volonté de se sentir soi-même, de la volonté de s’imposer dans la société, bref de la recherche d’une certaine liberté. C’est en miroitant l’idée de liberté que le marketing engage les êtres non encore adultes dans une catégorisation sociale : enfance, adolescence, jeunesse, adultéité, et crée pour chaque catégorie un produit particulier allant du parler, de la musique, de la littérature aujourd’hui, de la bouffe, des gadgets (l’électronique, les véhicules…) et surtout de l’aspect extérieur, coupe de cheveux et fringues, au sentiment d’être jeune différent radicalement de l’adulte. Il me semble que c’est dans la catégorisation commerciale que la jeunesse se retrouve en grande majorité. Or celui qui adopte et possède ces gadgets peut rester jeune abstraction faite de son âge biologique.
À ce niveau je n’ai point parlé de pensée, de réflexion, etc. Quand les jeunes des mouvements de ce qu’on a appelé le Printemps arabe avaient décidé de gérer leur révolution seule en excluant les vieux, du moins publiquement, on avait le droit de nous poser la question sur leurs réalisations.
Qu’ont-ils produit au niveau politique, au niveau des idées, au niveau de la posture sociale ? Nous sommes en mesure d’évaluer aujourd’hui leur patrimoine ? Ils ont presque tous dépassé trente ans, certains ont même atteint la cinquantaine, quel héritage nous ont-ils légué ?
Sur le plan politique, sur le plan des idées, de la création, ils n’ont fait que reproduire les idées de leurs aînés.
Revendiquer le statut de jeune, pourquoi faire alors ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane