On ne peut vivre dans un monde moderne sans presse. On raconte que lorsque Churchill n’était pas critiqué dans les colonnes des journaux, il se morfondait et se mettait à douter de lui. Car il n’y a pire pour un politique que l’indifférence. Et la presse était le miroir, la caisse de résonnance, le baromètre et le vivier de nouvelles idées.
La politique a évolué et la presse aussi. Mais, cahin caha, toutes deux empruntaient des voies parallèles, qui se frôlaient des fois, mais sans se toucher. Pour rester dans les contours de notre pays, c’était souvent par la presse que l’opposition se faisait entendre, plus que dans les instances institutionnalisées. C’était souvent le meilleur vecteur d’encadrement et de conscientisation. Les organes de la presse écrite étaient des moyens de formation. Que de grands noms, qui ont émaillé l’histoire de la presse nationale, en arabe ou en français.
Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts, selon l’expression consacrée, et on avait parlé à un moment de la presse dite indépendante. Il y eut incontestablement des success stories, qui n’avaient pas la vie longue. On ne s’attardera pas là-dessus, mais le bon primait sur les zones d’ombre et une nouvelle génération se faisait les dents en bousculant les tabous. Mais c’est le numérique qui changea la donne, pour de bon. Peut-on regretter l’évolution ? Non. Mais on ne peut taire les dérives. D’abord sur la forme. Tout un chacun s’investit journaliste, maître de site, youtubeur ou influenceur. La culture politique est quasiment inexistante chez ces faiseurs d’opinions autoproclamés, hormis quelques titres ou quelques références, qu’on ressasse, pour impressionner ou se donner bonne figure. La langue laisse à désirer. Mais, plus grave, on fait peu de cas de l’éthique et de la déontologie. On attaque, on dissèque, on grossit, on ressasse, on distord, on colporte, on éructe. Tous sauf la vérité quand il faut informer. Quelques élucubrations, pour ceux qui veulent passer pour des analystes. Ce sont les morveux qui ne se sentent pas morveux et qui ne se mouchent pas. Avec leur morve, ils se veulent des purs, et passent pour des donneurs de leçons. Arrêtons cette dérive préjudiciable à la presse, à la liberté d’expression, à l’image du pays. Que les officines en charge de réguler la profession, s’attellent à la besogne. Elles ont du pain sur la planche. Il ne s’agit nullement de museler la presse ou étouffer la liberté, mais de réguler la profession dans cette nouvelle sphère, du numérique, des sites et des Podcast. Car, comme dans cette loi d’airain, chère aux économistes, la mauvaise monnaie chasse la bonne. Quand tout est permis, c’est la fin de la vie publique. Cela a un nom : l’état de nature, ou le monde Hobbesien où les lois, les règles, les normes se délitent, pour que ne persistent que les persifleurs, les sangsues et les pernicieux, au sens premier du terme.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane