Quand l’être s’accroche à un événement et lui dédie toutes les charges émotionnelles possibles, ceci s’appelle une fixation hystérique. La première définition que vous rencontrez sur ce phénomène est : «L’hystérie est un état psychique situé dans le champ des troubles anxieux névrotiques. L’hystérie est sans origine organique mais en dehors du contrôle volontaire de la personne, caractérisé par une hyper-expressivité des émotions, et une angoisse extériorisée dans le discours».
Les hystériques, selon Freud, souffrent de leur relation au passé. Au lieu de dépenser ses émotions sur le présent, l’hystérique s’accroche à un événement passé qu’il ne cesse d’agiter et auquel il donne une importance démesurée. C’est l’impression que nous donne la lecture plus ou moins approfondie de ce qui s’écrit à propos de la société marocaine et du malaise de civilisation que certains ressentent dans cette société.
Les réseaux sociaux deviennent de plus en plus un miroir de ce qui se passe dans la société marocaine. On y trouve tout le monde : les ouvriers, les indicateurs, les espions, les paysans, les citadins, les politiciens…et les intellectuels. On y publie de tout et surtout des choses du passé. De l’architecture, des costumes, de la musique, des «conneries», des choses sérieuses et d’autres insignifiantes. On parle sport, drague, commerce, philosophie, politique et on ose même y parler «pensée». On parle dans tous les sens, mais avec une écoute attentive on se rend compte que quelque chose unit cette cacophonie et la moule dans un seul discours. Le passé y est vénéré. Le bon vieux temps, une expression qui correspond à «Azzamane al-jamil». Les intervenants dans les réseaux sociaux ne sont, en grande majorité, pas contents du présent et ont une forte nostalgie pour le passé. Dans tous les domaines : le foot, le climat, les fêtes, la pratique religieuse, la musique, la culture, et bien entendu la pensée et la politique.
Cette dominante a tout l’air d’un glacis en peinture : cette technique est l’un des fondamentaux de la peinture à l’huile. Le glacis est une fine pellicule de peinture transparente superposée à une couche de peinture plus épaisse. Son rôle est de donner une unité aux différents éléments du tableau. On ne voit pas le glacis, mais on sent son effet. Pour illustrer mes propos, je m’arrêterai sur l’exemple d’une personne, peut-être celle qui résume cet attachement pathologique au passé. Elle s’indigne et s’interroge sur comment sommes-nous passés d’une société encadrée par des penseurs tels que Jabri, Laroui, Mehdi (Ben Barka), El Mandjra, Ghallab, Laâbi, Sabila et tant d’autres philosophes, à une société encadrée par Raissouni, Kettani, Fizazi Benhamza…
Cette personne vénère le passé, ne voit rien dans le présent à part ces acteurs qu’elle cite et ne se pose nullement la question sur la responsabilité de ces soi-disant penseurs qui, dit-elle, encadraient la société. N’était-ce pas leur pensée qui a conduit à l’état qu’elle déplore ? Quels effets tangibles (sur la production, l’art, la créativité, les libertés…) la pensée que ces vénérables personnes dont la majorité n’est plus, a-t-elle-eus ? Ne pouvait-elle pas avoir eu en son sein les éléments de cette débâcle ?
On dit que le maître zen n’apprend rien à ses élèves, il les écoute débattre et, quand il sent qu’ils se sont égarés, il frappe sa sandale contre le parquet pour leur dire qu’ils sont dans l’erreur. Les élèves s’arrêtent alors, font un retour vers le début de leur discussion pour voir où se sont-ils écartés du bon chemin. Cette philosophie guide aussi de grandes nations, surtout en Asie. On ne vénère pas le passé, mais on y revient souvent et sans relâche, pour voir et analyser les barrières et les handicaps que les anciens nous ont légués à leur insu.
S’accrocher au passé et en faire une préoccupation majeure est une forme d’hystérie passible de cure psychanalytique.
Croire que la gloire est cachée dans les plis du passé ne peut produire qu’une pensée régressive.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane