Vue de l’extérieur, la visite d’Emmanuel Macron au Maroc peut être résumée à ceci: en s’alignant enfin sur la souveraineté marocaine au Sahara («une question existentielle pour le Maroc», dixit le président Macron), la France obtient une réimplication totale au Maroc, impliquant tous les secteurs liés au développement économique et humain du pays. L’histoire, la grande, est souvent cynique. Elle va à l’essentiel et se contente d’ajouter une ligne succincte au palmarès des Nations et des états. Le Maroc et la France viennent de renouer de la plus belle des manières, en paraphant un accord «gagnant-gagnant», passant l’éponge sur plusieurs mois de crispation politique. Passons au sujet suivant, s’il vous plait.
Mais pas si vite !
Il arrive aussi que l’histoire retienne le détail et la forme, quand ils sont gorgés de sens. Ce détail, c’est la solennité de l’accueil réservé au président français. Entre le bain de foule dans les rues de Rabat et l’allocution prononcée devant le parlement marocain, le royaume, qui reste un pays ancré dans la tradition et la symbolique, a mis les petits plats dans les grands pour donner à cette visite une dimension exceptionnelle. Comme si on voulait nous dire que ce n’est pas seulement le premier représentant de la France actuelle qui a été reçu, mais la France elle-même, une certaine idée de la France, celle de toujours, quels qu’en soient les représentants du moment.
L’allocution devant le parlement marocain est à elle seul un coup de canon dans le ciel des relations entre les deux pays. C’est un honneur extrêmement rare. Même Chirac, au plus fort de son tropisme marocain, n’a pas eu droit à «ça». C’est un geste d’amitié, de confiance, et même d’affection. C’est comme lorsqu’un père de famille, pudique et traditionnel, reçoit un étranger et l’autorise à dispenser des leçons de vie à toute la famille réunie…
À lui seul, ce geste complètement inattendu a ajouté une touche d’émotion à cette visite pas comme les autres. Une émotion qui était perceptible au moment où le président était en train de prendre l’avion du retour, au bout d’une visite extraordinairement chargée alors qu’elle a duré, en tout et pour tout, trois jours…
Du point de vue marocain, disons-le tout net : le changement de cap de Macron est perçu comme une victoire. C’est lui, c’est la France, qui s’est rallié aux positions marocaines, et pas le contraire. Le faste qui lui a été réservé lors de sa visite tombe alors sous le sens. Ce n’est pas Macron que l’on célèbre mais la «victoire» marocaine.
Le Maroc de Mohammed VI a, peut être pour la première fois, la possibilité de jouer pleinement les deux cartes de la France et de l’Espagne à la fois. Par le passé, il jouait l’un ou l’autre, comme s’il y avait un poids qui empêchait l’équilibre de la balançoire. Ce poids n’est plus et les étoiles semblent enfin s’aligner. Diplomatiquement et stratégiquement, quand on compare l’avant et l’après, le royaume a effectué là une percée certaine.
Pour revenir à la symbolique et au détail de la courte mais intense visite d’état d’Emmanuel Macron, il est intéressant de souligner que le président a choisi de se faire accompagner –en plus d’une délégation de ministres et de décideurs économiques- d’une brochette d’artistes et d’intellectuels. Parce que la culture aussi est un soft power qui compte dans le monde d’aujourd’hui. La circulation des idées est aussi déterminante que celle des capitaux, d’un pays à l’autre.
La France l’a bien compris, et le Maroc aussi. Alors pourvu que ça dure !
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction