Pour celui qui ne le connaît pas, l’exploration du passé est souvent source de surprises et de questionnements. Ainsi en est-il des premiers siècles de l’islam, porteurs de tant de «surprises» pour le néophyte. Il suffit de s’arrêter sur une dimension parmi tant d’autres: la question sexuelle, qui résume à elle seule, ou presque, toutes les contradictions de nos sociétés contemporaines.
En islam, tout le monde connait ce verset : «Nissa’ oukoum hartoun lakoum, fa’tou hartakoum mata chi’toum». La traduction littérale de cet extrait de la sourate al-Baqara, nous donne : «Vos épouses sont pour vous un champ de labour ; allez à votre champ comme [et quand] vous le voulez». Ce passage du livre saint de l’islam est plus complexe qu’il n’en a l’air. Pour commencer, et dans le but de faire la part des choses, examinons ce qu’on appelle «Asbab al-nouzoul», c’est-à-dire les conditions de la révélation de ce verset, selon les «tafassir» (interprétations, exégèse) de la communauté des jurisconsultes.
Ibn Kathir nous apprend que la raison d’être de ce verset, pour résumer, est d’inviter les musulmans à consommer l’acte sexuel «dans toutes les positions». Parce qu’il y avait une vieille superstition, liée aux rituels de la religion juive, où certaines positions adoptées par le mâle pouvaient avoir des répercussions négatives sur l’enfant à venir…
Le verset est donc une parole libératrice, désinhibante. En plus, en s’appuyant sur certaines interprétations, et sans s’éloigner des récits de la Tradition, il est possible d’assimiler le «champ de labour» (al-harth) à une terre fertile, une figure de style pour mettre en avant la fonction procréatrice lié aux femmes. Voilà comment un verset peut se prêter à deux lectures. L’une, rapide, qui y verrait la consécration de la supposée supériorité de l’homme et la chosification de la femme. L’autre, plus apaisée, y décèlerait une forme de progressisme social pour son époque…
Parce qu‘il ne faut jamais oublier le contexte. Mais le contexte change, évolue. Le célèbre «la haya’a fiddine», littéralement «pas de pudeur en religion», ne vient pas de nulle part. Les fouqaha ont longtemps disserté sur la sexualité de leurs contemporains. Certains textes datant des premiers siècles de l’islam, notamment sous l’ère abbasside, vont tellement loin dans ces «choses-là» qu’il faut beaucoup de courage, aujourd’hui, pour les traduire.
Il y avait donc cette liberté parce que la religion a défini le champ des possibles, qui était assez large pour l’époque. Mais il y avait aussi une société, dans le sens global du terme, c’est-à-dire tout un contexte, qui poussait à cette liberté. Les écrits les plus sulfureux étaient des commandes émanant de sultans ou d’émirs. Ils avaient donc ce bouclier politique qui les protégeait. Mais ils avaient aussi une solide caution religieuse et morale puisque leurs auteurs, bien souvent, étaient de respectables jurisconsultes, qui associaient sans sourciller leurs écrits à la piété et à l’amour du Créateur. Bien sûr, il faut aussi poser les limites du genre. écrite par des hommes et destinée à des hommes, cette littérature dispensait une sorte d’éducation sexuelle (pour les hommes), en représentant souvent la femme comme un corps étranger à apprivoiser pour, au final, mieux le contrôler.
Mais, en évitant de poser un regard moral sur cette littérature, on peut y percevoir une étonnante liberté d’expression et un très grand affranchissement : par rapport à des concepts comme le désir ou le plaisir. Sans oublier l’amour, qui a fait dire à Ibn Arabi : «Je pratique la religion de l’amour. Où que se tournent ses chevaux ! Partout c’est l’amour qui est ma religion et ma foi».
C’est cette liberté que le monde musulman semble avoir oublié, aujourd’hui.
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction