À peine l’indépendance annoncée, le Maroc doit faire face à une catastrophe sanitaire sans précédent. L’affaire de « l’huile pour avions » vient ternir la crédibilité d’un nouvel État et engendre des centaines de victimes.
L’affaire de « l’huile empoisonnée » dite aussi « zit teyara » (huile pour avions) est symptomatique du chaos post-indépendance qui prévaut dans le pays. Ce drame qui touche la ville de Meknès à la fin des années 1950 cause d’abord de graves cas d’empoisonnement entraînant la mort. Il révèle également les sérieux dysfonctionnements d’un État à peine arrivé à l’indépendance. Les lacunes dans le travail des autorités sont criantes et le pays prend conscience du chemin qui lui reste à parcourir.
La découverte de « l’épidémie »
À la mi-septembre de l’année 1959, la ville de Meknès se prépare aux festivités commémorant la naissance du Prophète. L’évènement est amplifié cette fois-ci par la présence du roi Mohammed V, très attendue par les habitants de la capitale ismaélienne. Alors que les préparatifs battent leur plein, de nombreux cas d’intoxication sont signalés à l’hôpital central Mohammed V de la ville. Cet afflux est tout aussi soudain qu’inquiétant. Les patients semblent présenter les mêmes symptômes et leur nombre ne cesse de croître. Un organe de presse de l’époque publie un article où il évoque qu’un « patient a été admis à l’hôpital ce 15 septembre, traîné à son arrivée par deux membres de sa famille, car incapable de se tenir debout. Ce patient déclare d’abord avoir été pris de violentes convulsions, suivies d’une sensation de lourdeur jusqu’à ne plus sentir ses jambes. Peu de temps après cette admission, un second patient présente exactement les mêmes symptômes. Sur une période très courte, on dénombrera pas moins de 300 cas similaires ».
D’après les témoignages de victimes épargnées, les premiers cas de cet étrange mal sont observés quelque temps avant ce mois de septembre dans d’autres régions du pays, mais le faible nombre de victimes n’a pas été jugé alarmant. Avec la visite royale, les autorités mettent rapidement en place des mesures préventives et décrètent l’état d’alerte maximal dans la région. L’inquiétude des responsables est accrue par le fait qu’ils ignorent totalement l’origine de la catastrophe sanitaire à laquelle ils sont confrontés. Ils sont incapables de définir la gravité de la maladie et surtout de prédire son évolution. Sur le terrain, cette panique se traduit en premier lieu par l’annulation de la visite du roi dans la ville d’Al Hajeb où des tribus de la région devaient lui porter allégeance. Cette décision exceptionnelle sera derrière l’adhésion des habitants de la région à la psychose ambiante, tandis que les autorités tentent de rassurer la population afin d’éviter tout débordement.
Les premiers diagnostics orientent faussement vers le dépistage d’une forme de paralysie contagieuse du fait de la similitude patente des symptômes : vomissements, douleurs au niveau des articulations, étourdissements et perte d’équilibre. Les médecins se contentent de prescrire à leurs patients des antalgiques, des vitamines, et des fortifiants. À partir du premier cas identifié, les admissions à l’hôpital de Meknès s’enchaînent à un rythme effréné. Les sources indiquent un afflux de 50 à 200 cas par jour et au bout de deux semaines, l’établissement hospitalier enregistrera pas moins de 2 000 admissions. Bien que la majorité des patients habitent Meknès, plusieurs cas similaires sont identifiés dans des villages du nord et du sud du pays
Par Madiha Sebbioui
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