Latifa Jbabdi n’est pas le genre de femme à se reposer sur ses lauriers. Militante dans l’âme, celle qui fût jadis une figure de l’opposition au régime de Hassan II, ancienne du mouvement clandestin du «23 Mars», incarcérée plusieurs fois dont un séjour à Derb Moulay Chérif, continue de mener combat. Aujourd’hui, elle consacre son énergie à la réforme attendue du Code de la Famille et nous explique en longueur pourquoi le Maroc joue son avenir sur cette échéance. Au titre de fondatrice de l’UAF (Union de l’Action Féministe), elle expose clairement les enjeux de la futur Moudawanna, les revendications que son camp pose sur la table et la nature de l’opposition de la partie conservatrice. En nous recevant dans l’établissement scolaire dont elle est la directrice, Latifa Jbabdi évoque également la jeunesse d’aujourd’hui, qu’elle craint privée de repères sociaux. Enfin, elle revient pour nous sur l’expérience de l’IER (Instance Equité et Réconciliation) qui a fêté en janvier 2024 les vingt ans de sa création et dont elle fut la seule femme membre…
Vous êtes-vous rendu compte que l’IER fête les vingt ans de sa création en ce mois de janvier ?
Oui je m’en suis rendu compte très récemment à l’occasion de la visite d’une délégation de la Commission des droits de l’homme éthiopienne venue s’enquérir de l’expérience du Maroc dans le domaine de la Justice transitionnelle. Vingt ans après, il est donc toujours question de l’IER, surtout comme un modèle du genre. Mais il est vrai que l’on se rend pas compte du temps qui passe, le monde va aujourd’hui encore plus vite qu’à l’époque. Et ce qui s’y passe n’est pas réjouissant. La situation à Gaza par exemple me rend littéralement malade.
Depuis combien de temps êtes-vous sensible à la cause palestinienne ?
C’est l’un de mes engagements les plus anciens et il est central dans mon militantisme. Je ne passe pas une nuit sans me réveiller pour suivre le fil d’information et me lamenter du sort des pauvres victimes. Nous en sommes désormais à trois mois de guerre et la situation devient vraiment insoutenable. Pour remonter dans le temps, je considère même que la question palestinienne était l’une des raisons des engagements politiques de ceux de ma génération. Nous étions encore très jeunes en 1967 mais nous avons assisté, à travers nos parents et les médias, à la désastreuse défaite militaire des armées arabes face à Israël (Guerre des Six Jours, juin 1967 ndlr). Le jour de la Naksa (exode de plus de 300.000 palestiniens ndlr) a été un véritable traumatisme pour nous. Les conséquences politiques sur l’ensemble des pays arabes étaient immenses. C’est à cette période que sont apparus les mouvements marxistes-léninistes et que les contestations envers les régimes se sont accrus. La jeunesse considérait déjà que les pouvoirs en place ne parvenaient pas à satisfaire les revendications politiques et sociales à l’intérieur de leurs propres pays, et qu’avec la question palestinienne, ils prouvent qu’ils sont aussi incapables de défendre une cause qui passionne l’ensemble du monde arabe en plein élan pan arabiste. Nous étions convaincus que seule l’unité arabe pouvait nous sortir de la léthargie politique dans laquelle nous vivions et que cela pourrait nous apporter liberté et démocratie. Au Maroc, la guerre de 1967 vient après l’enlèvement de Mehdi Ben Barka et l’instauration de l’état d’exception, ce qui a exacerbé les tensions entre le pouvoir et l’opposition de gauche et conforté chez nous le besoin révolutionnaire.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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