Depuis l’indépendance du Maroc, le seul édifice théâtral de grande envergure construit est le théâtre Mohammed V. Le pays a fonctionné avec l’héritage de la colonisation. Que dis-je ? Le pays s’est même permis le luxe de détruire un bijou légué par la France coloniale : le théâtre municipal de Casablanca. C’était sous l’égide du ministre Driss Basri, qui n’aimait pas la culture, ou plutôt aimait trop la culture rurale. Pour consoler les Casablancais, il avait ordonné à toutes les mairies des circonscriptions de construire non pas des théâtres, mais des complexes culturels avec toutes les spécialités du spectacle. Des locaux, entendez des murs, avec zéro dirham pour la production. Des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur s’occupaient de gérer le personnel d’abord, puis la programmation ensuite. Il y avait certes quelques complexes qui avaient bien marché grâce à la collaboration avec l’Université (Ben Msik).
Casablanca était donc restée privée de théâtre. Un lieu où l’on pouvait voir, comme dans les années soixante et soixante-dix, des couples élégamment habillés faire la queue devant les guichets du Théâtre municipal pour assister à une représentation théâtrale ou à un concert musical. Il a fallu attendre le troisième millénaire pour que le roi Mohammed VI décide de faire construire non pas un théâtre, mais deux : un à Rabat, et le second à Casablanca. Le choix du lieu a coûté cher aux Casablancais, car la vision des urbanistes a voulu que l’on dépouille la ville d’un joyau historique et symbolique, la célèbre Fontaine aux Pigeons (Sahat lahmam), littéralement, la Place aux Pigeons. Tout le monde a accepté d’oublier le lieu, car la compensation était d’une grande valeur : un grand théâtre.
Les premiers coups de pioche ont été donnés en octobre 2014. Quatre ans plus tard, les Casablancais ont vu surgir de terre une sculpture splendide d’une blancheur éclatante. Le monument est exceptionnel. Cela a changé le visage urbanistique et architectural de la place Mohammed V. Tout en s’intégrant dans le paysage, le bâtiment s’impose par son style, la sobriété de ses parois et la fantaisie de ses formes. De quoi donner envie d’aller voir ce qui se passe à l’intérieur. Eh bien non ! Il faut patienter. Les travaux du grand théâtre de Casablanca sont achevés depuis lontemps, mais il faudra encore attendre avant son ouverture au grand public, constamment reportée depuis 2018.
Les Casablancais, surtout ceux qui ont connu le sort du complexe culturel de Settat, qui pendant plusieurs années a attendu d’être inauguré, sont sceptiques. Que manque-t-il à ce bel édifice ? Un directeur, de l’argent, une décision… ? D’autant plus que le théâtre lui-même doit jouer le rôle de locomotive pour les autres institutions culturelles qui sont autour de lui : le Sacré-Cœur, l’école des beaux-arts, la Casablancaise, la salle Kenfaoui, le Parc de la Ligue arabe, des cafés culturels, le conservatoire de Casablanca…
Tout un microcosme culturel dépend du démarrage de ce haut lieu.
Par Moulim El Aroussi