Henry Laurens est certainement le dernier des grands historiens orientalistes contemporains, dans le sens classique du terme. Avec la politisation à outrance de la question palestinienne, l’analyse du Proche-Orient relève de plus en plus des politistes. L’invité de Zamane est également l’un des plus fins connaisseurs actuels du passé du monde arabo-musulman. Il est le plus à même de comprendre les relations entre le Maghreb et le Machrek qui, en dépit des apparences et de l’usage commun de l’arabe littéral en tant que langue officielle, demeurent des ensembles sociétaux bien distincts. Place donc à l’échange et au débat, qui concernent le Maroc et l’ensemble du monde musulman, avec des questions historiques aux résonnances ô combien contemporaines.
Pourquoi avoir choisi le monde arabe comme pierre angulaire de vos recherches et vos écrits ?
C’est tout à fait un jeu de hasard et de nécessité à la fois. C’est à la fin des années 1970, en me spécialisant dans le cadre de la fin de mes études, que je suis pris d’intérêt pour le monde arabe. Deux raisons à cela. Une question financière et de carrière ; celle de poste d’attente en coopération. En effet, il était plus facile de décrocher un poste universitaire en histoire contemporaine sur le monde arabe. Cela m’évitait d’aller enseigner en collège et lycée. Seconde raison ; elle est culturelle celle-ci. Le monde arabe, épicentre de l’actualité, était d’une complexité intellectuelle notoire. Cela pour moi était intellectuellement très stimulant. Dès lors, c’est en 1977 que j’effectuais mon premier voyage en Orient.
Pouvez-vous nous faire part d’un ou deux souvenirs ou anecdotes de vos années de boursier à Damas, puis au Caire, au début des années 1980 ?
C’est entre 1981 et 1982 que je fais mon premier voyage à Damas, puis à Alep. La Syrie de Hafed el-Assad est alors en pleine guerre civile ; les attentats font rage, et une telle atmosphère intoxique généralement les esprits jeunes et impréparés. Pour mémoire, je suis le premier Occidental à pénétrer dans Alep en 1981 après le siège de la ville par les forces de Hafed el-Assad. C’est également l’époque où Israël confisque définitivement le plateau du Golan à la Syrie. D’autre part, dans mon expérience de l’époque il y a l’Egypte. À séparer de celle du Liban-Palestine-Syrie. Là, j’étais coopérant à l’université du Caire où j’ai découvert les tenants et aboutissants des hiérarchies universitaires. Un fonctionnement tout de même bien secret, propre à la société égyptienne qui est très compartimentée. Il faut être égyptien où y avoir vécu pour en comprendre les mécanismes internes. J’ai eu le bonheur de fréquenter nombre de grands intellectuels aussi bien conservateurs que progressistes. Beaucoup ne sont plus de ce monde.
Propos recueillis par Farid Bahri
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