Il y a un vieux dicton marocain qui dit : «Si la plume ne le fait pas, le pied le fera !». On le disait autrefois pour encourager les garçons qui n’ont pas eu de chance avec l’école (la plume), mais qui sont doués balle au pied (le pied). Le pied peut ainsi suppléer la plume. Le football, c’est-à-dire la rue, peut remplacer les bancs d’école. C’est une revanche et une séance de rattrapage pour les derniers de la classe. Qu’ils le sachent une fois pour toutes : le pied peut rattraper ce que la plume, c’est-à-dire le cerveau, a pu rater. En d’autres termes, la réussite est au bout des pieds. Et le football peut transcender le destin d’un homme, voire d’une nation.
Rien n’est plus vrai, à l’échelle universelle. Si, si.
Regardez le Brésil. Avant les exploits de Pelé et des autres, surtout à partir des années 1950, cet immense pays avait une triste réputation. Son régime, alors dominé par l’armée, passait pour l’un des plus impopulaires au monde, après l’Apartheid des Afrikaners sud-africains.
Aujourd’hui, le Brésil, qui est devenu entretemps une démocratie (mais qui reste assez inégalitaire), jouit d’une flatteuse réputation. Il a des admirateurs dans le monde entier. Grace à qui ? À quoi ? Au football, au «pied» que célébrait le dicton marocain.
Le sport et le football en particulier peuvent accomplir des miracles. Dans les pays du Sud, une victoire peut faire élire un président. Elle peut souder une nation. Elle peut faire passer toutes les pilules, les crises, les conflits, etc.
Quand on examine le phénomène de près, le miracle, c’est surtout de transformer la victoire de onze joueurs et un staff technique en une victoire pour tous les autres. Cela devient la victoire de tout un peuple, une nation, un gouvernement.
On nage en plein irrationnel ? Oui et non. Tout cela est exagéré, excessif. Mais rien ne vient par hasard, il y a toujours un fond de vérité, quelque chose de plus général, qui vient de loin, une accumulation de grandes et de petites choses, une logique supérieure en définitive, qui fait que, au final, et sur un rectangle vert : onze gars lèvent les bras pour célébrer la victoire. Et que, derrière, un gigantesque enchainement se met en branle.
La victoire, surtout quand c’est le (supposé) plus faible qui gagne, est bien le résultat d’une guerre, voire de plusieurs. Pour vaincre Goliath, David a du vaincre, d’abord, ses peurs et ses faiblesses. Au passage, il a inspiré un peuple et transcendé des générations d’hommes et de femmes.
La performance historique du Maroc, dans ce Mondial du Qatar, est une très bonne nouvelle pour le pays et son histoire, sa jeunesse et les multiples composantes qui font vivre sa société. Le Maroc avait besoin de cette victoire-là. Le dépassement de soi de Regragui et de sa «famille» de joueurs, deviennent un trait d’union entre la jeunesse d’aujourd’hui et celle d’hier, entre le Maroc de l’intérieur et celui de l’extérieur.
Au coup d’envoi du récent Maroc – Espagne (1/4 finale, Mondial 2022), les onze joueurs alignés étaient tous des Marocains nés ou formés ou résidant (évoluant) en Europe. Pour faire court, des MRE. La plupart possèdent la double nationalité. Leur victoire est aussi celle de cette diaspora marocaine.
Ces millions de Marocains de l’extérieur étaient et sont toujours la première rentrée de devises pour le royaume. Voilà pour l’histoire. Pour le présent, les MRE sont désormais les meilleurs footballeurs du pays, ceux par qui la victoire arrive.
À ce niveau, la moindre victoire valide jusqu’au degré de développement d’un pays. Ça veut dire, en plus du talent intrinsèque et naturel des joueurs, que le travail a été fait, et bien fait. Ça veut dire que, quelque part, on a appuyé sur le bon bouton. L’impact sur les hommes et les femmes de ce pays sera énorme. Le sport et surtout la victoire autorisent cette fierté, cette magnifique réconciliation.
Rappelez-vous Saïd Aouita et Nawal Moutawakil, qui ont illuminé nos années 1980. Il y a eu un avant et après. Avant, on nous disait qu’au Maroc, un enfant nourri au pain et au thé ne peut pas devenir plus tard un champion mondial. Question d’alimentation, donc, de climat ou de gênes, allez savoir. Que de bêtises.
Les victoires de Saïd et Nawal, dans leur temps, ont boosté toute une génération de Marocain(e)s. À ces deux-là, et à Regragui et ses garçons, on ne dira jamais assez «merci, merci».
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction