On a tous à l’esprit les images du climat hystérique et démentiel des matchs de football entre l’Egypte et l’Algérie en 2009. Des supporters chauffés à blanc par un discours excessivement patriotique, des artistes et intellectuels rameutés pour déclamer des odes d’amour à leurs pays, et des médias transformés en catapultes d’insultes et accusations vers le camp adverse. Une vraie ambiance de guerre, où il ne manquait que les chars et les avions. Mais au delà de l’absurdité de la situation et son caractère tragicomique, cet épisode révèle quelque chose d’important sur l’histoire et les fondements politiques et culturels de ces Etats. Il s’agit en réalité d’un choc entre les nationalismes les plus intenses et puissants de la région. Après l’indépendance, les deux Etats ont tout construit autour de l’idée de la nation : l’Egypte a bâti son identité sur la nature millénaire de sa civilisation tandis que l’Algérie a désigné la figure du peuple martyr et combattant pour incarner la communauté nationale. Dans les deux cas, la nation est devenue le centre de gravité sans lequel aucun édifice politique ne peut tenir.
La trajectoire historique est différente au Maroc. Durant le combat pour l’indépendance, les jeunes militants nationalistes ont choisi, pour des raisons tactiques, de faire de la monarchie le symbole de la patrie, l’incarnation d’une continuité historique dont le protectorat n’est qu’une parenthèse condamnée à disparaître. Le sultan est devenu un emblème qui porte sur ses épaules une histoire ancienne, celle d’un pays où se sont succédé envahisseurs et conquérants, rois et prétendants, sans jamais altérer sa substance et son identité. L’acmé de cette situation et son aboutissement est le retour de Mohammed V de son exil, auréolé du statut de père de l’indépendance. Après un long conflit avec ses adversaires, notamment avec la gauche, Hassan II réussit à asseoir définitivement la supériorité politique et symbolique de la monarchie. Cette dernière devient le corps sacré du Maroc, le centre vers lequel converge tout récit sur l’histoire du pays. Mais ce processus s’est fait au détriment de l’idée de la nation, reléguée au second plan. Le projet politique de Hassan II visant à renforcer la centralité de la monarchie a fortement affaibli le discours sur la nation et fragilisé le lien qui doit réunir les composantes ethniques et culturelles du royaume.
Bien que le Maroc dispose d’une profondeur historique qui n’a pas connu de grandes cassures – comme c’est le cas pour l’Algérie avec les 132 ans de présence coloniale –, sa construction nationale demeure très précaire. Les particularismes locaux, le séparatisme sahraoui et les revendications identitaires (qui prennent parfois des aspects radicaux et violents chez certains militants amazighs) sont des symptômes de cette fragilité du lien national. Cette vulnérabilité menace à long terme l’unité du pays et nécessite l’élaboration d’un nouveau grand récit sur l’histoire du Maroc, où l’idée de la nation est replacée au centre. Les symboles, les personnages historiques et les lieux de mémoire doivent être mobilisés pour la réalisation de ce grand récit national. Dans ce sens, il est nécessaire de penser à l’édification d’un lieu de mémoire regroupant les sépultures des grands hommes qui ont fait l’histoire du Maroc. Un édifice dans lequel se retrouvent et se reconnaissent tous les Marocains, dans leur diversité régionale et culturelle. Ce panthéon permet aux Marocains de se réconcilier avec leur histoire et de considérer que cette nation s’est faite avec toutes ses régions, ses hommes et ses femmes, sans exclusion ou exception.
Par la rédaction