Tout semble indiquer que le Maroc rentre dans les projets américains concernant l’Afrique. Les experts américains de la Maison Blanche semblent vouloir profiter du rapprochement entre Israël et le Maroc, pour mettre sur pied un plan d’action visant à contrecarrer la Chine. Ils parlent d’empêcher la Chine de s’étendre sur le continent africain. En fait, il ne s’agit pas d’arrêter que la marche des Chinois, mais celle de l’Asie qui semble aujourd’hui se regrouper contre l’Occident. La guerre en Ukraine a permis de voir se dessiner les contours d’une nouvelle carte mondiale où la Russie serait rebaptisée asiatique, le Japon et la Corée du sud occidentales (ne serait-ce que momentanément), et le reste du monde sera partagé entre les anciennes forces et les forces naissantes, celles de demain.
Entre forces asiatiques montantes et celles de l’Occident décadentes, le reste du monde reste indécis, ne sachant sur quel pied danser, ni de quel côté se ranger. L’exemple le plus éloquent demeure bien sûr celui des pays jouxtant territorialement les grandes puissances : des pays en Amérique latine, le Japon et la Corée du Sud, la Turquie, quelques pays africains, les pays du Maghreb et plus particulièrement le Maroc et l’Algérie.
Or, si le Maroc a donné des singes de rangement du côté des anciennes forces, l’Algérie reste encore indécise et joue sur la corde raide du choix difficile. Mais, contrairement à la totalité des pays du Maghreb, le Maroc avait déjà vécu cette situation de choix entre l’ancien et le nouveau. Quand le Monde Musulman (sunnite) dont fait partie le Maroc, était sous tutelle turque, le royaume était confronté au choix difficile entre s’embarquer dans la Renaissance européenne ou s’accrocher à ses valeurs anciennes. Il subissait les avancées technologiques de la Renaissance sans vouloir réellement s’y engager. Il avait été contraint de quitter Al-Andalus, de se replier derrière les mers et de se défendre contre l’incursion sur son sol, aussi bien des Nazaréens que de leurs idées. Ses théologiens n’hésitaient pas à comparer les inventions mécaniques de l’Europe aux machinations dangereuses de Satan.
Mais la Renaissance européenne avait continué ses exploits. Après la libération des imaginaires, ce fut le tour des individus, des lois et des grands changements de valeurs… Mais la résistance marocaine au changement a continué et sans relâche.
Quand, à partir des années 1840, les émissaires et les Consuls européens venaient proposer aux sultans du Maroc, le télégraphe et le train, ses théologiens étaient fiers de le convaincre de ne pas accepter les produits de Satan. Or, on sait le rôle que ces deux inventions ont joué dans la stabilisation, la sécurité et la prospérité d’un pays aussi grand que les états-Unis d’Amérique. Informer aussi vite que l’éclair et déplacer les armées, les marchandises et les armes plus vite que ne le feraient les mhallas : le Maroc a raté là un moment historique. Après la deuxième guerre mondiale, le Maroc était le mieux placé pour s’embarquer dans le projet américain, mais il choisit de rester fidèle à l’Europe et spécialement la France. Pourquoi ? Par conservatisme, par peur de se tromper, par manque de courage de prendre le risque ? Seuls les architectes de la politique de l’époque, et surtout les forces qui disaient avoir lutté pour l’indépendance du pays, le savent.
Aujourd’hui, au moment où l’Amérique montre des signes de faiblesse évidente, et qu’elle songe à se retirer du Proche Orient avec les problèmes qu’elle n’a su, ni pu résoudre, et se tourne vers l’Afrique, le Maroc décide enfin de s’embarque dans son projet.
Au même moment, la Chine insiste sur l’importance de la relation avec ce pays, propose des partenariats… Mais le Maroc résiste. Certes, la Chine comme toutes les autres forces avant elles, ne fait pas de cadeau, mais c’est là où l’on peut tester la clairvoyance et l’envie de sortir des cadres anciens voués à la disparition.
Un choix qui semble difficile pour des classes économiques, sociales et politiques bien installées dans la sécurité de la certitude, mais l’avenir ne tardera peut-être pas à les démentir.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane