Dans une scène des plus insolites, l’ancien ministre Fathallah Oualalou a versé généreusement ses larmes pendant une brève intervention lors de l’événement Atlantic Dialogues 2022, organisé par le Policy Center for the New South du 14 au 16 décembre à Marrakech. L’émotion de l’homme politique marocain est intervenue en réponse au socialiste et ancien ministre des Affaires étrangères français, Hubert Védrine.
Pourquoi un ministre pleure-t-il en public dans une conférence internationale ? L’origine de l’émotion : en répondant au ministre français et en saluant la performance spectaculaire de l’équipe marocaine de football, Oualalou a évoqué la présence du Roi du Maroc dans la rue parmi la foule, pour fêter la qualification de l’équipe du Maroc pour les quarts de finale de la Coupe du Monde. C’est à ce moment précis que son intervention prend la tournure qui nous intéresse ici et que ses larmes prennent un sens politique, voire diplomatique.
«Il faut savoir que le Maroc n’a pas de complexe, aucun complexe, dit-il. Sans complexe on a tendu la main à la France après l’indépendance, mais aussi à l’Espagne, il ne faut pas oublier l’Espagne qui a colonisé le nord du Maroc et aussi le Sahara (ici il use d’une gestuelle marocaine qui veut dire : il ne faut pas l’oublier). Nous avons géré notre indépendance sans complexe, nous avons oublié les ruptures, et nous sommes capables de les oublier».
«Aujourd’hui le monde a changé, continue-t-il, le monde est mondialisé et sans complexe nous avons le droit aussi de tendre la main aux USA, à la Chine. Mais nous connaissons notre géographie et dans cette géographie il y a la géographie et l’histoire. Il y a la France et on tient aux relations avec la France, et il y a l’Espagne et on tient à nos relations avec l’Espagne et nous tenons à être un relais essentiel entre l’Europe et l’Afrique. La géographie est essentielle. L’essentiel est de gérer et la proximité et la mondialisation et sans complexe».
«Mais ce que nous avons gagné dans cette affaire, insiste-t-il, c’est de se faire respecter par les autres, que nous avons la capacité de rattraper les autres, d’être comme eux, c’est ça l’essentiel. Aucun complexe, mais en même temps nous sommes prêts à respecter tout le monde. Mais on demande en même temps qu’on soit respecté. C’est pour cela que même dans la question de notre intégrité territoriale nous devons être respectés (là aussi il est repris par une montée de larmes)».
Il s’adresse à l’Espagne et à la France, qui dit-il, connaissent l’histoire et la géographie de cette région et c’est pour cela qu’ils ont une responsabilité pour nous respecter sur cette question.
Pleurer fut, dans l’histoire, une noble manière, surtout en politique, pour exprimer le repentir ou la douleur. Les effusions de larmes surviennent souvent dans des contextes politiques tendus. Les pleurs sont des affaires d’hommes politiques, qui cherchent à émouvoir leurs auditeurs. Mais si les larmes s’adressent souvent aux masses, dans le cas qui nous intéresse ici, elles sont d’un autre ordre. La diplomatie constitue aussi le théâtre de manifestations émotionnelles : ainsi, lors de la deuxième guerre punique, les Pétéliens qui se rendent à Rome pour réclamer un soutien contre Hannibal convainquent leurs interlocuteurs par leurs larmes et leur peine. Tous les gouvernants mobilisent, à un moment ou à un autre, l’art de pleurer.
Mais si les Pétéliens s’adressaient à d’éventuels protecteurs contre un supposé tyran, à qui s’adressaient les larmes de l’auteur de «La Chine et nous, répondre au second dépassement (2017)» ?
«Mais nous avons le droit nous aussi de dialoguer avec le reste du monde comme la France et l’Europe et l’Espagne ont le droit aujourd’hui de s’ouvrir sur le monde entier», avait-il affirmé, emporté par l’émotion. Les deux forces coloniales ont-elles à un moment ou un autre interdit au Maroc de s’ouvrir sur le monde ? Où, comment et quand ?
Les larmes du ministre seront-elles récompensées ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane