« Plus vite, plus haut, plus fort ». Telle est la devise des Jeux Olympiques, qui pousse depuis plus d’un siècle les athlètes du monde entier à se surpasser lors du plus grand des rendez-vous sportifs, aux immenses enjeux politiques et économiques.
Paris, le 23 juin 1894. Dans un amphithéâtre de la Sorbonne, près de 2000 personnes représentant 13 pays s’apprêtent à faire renaître une vieille tradition de la Grèce antique. Dans quelques heures, les participants à ce congrès parisien vont redonner vie aux vieux Jeux Olympiques du monde hellénique. Au sein de l’assistance, un jeune homme de 31 ans exulte. C’est lui qui, deux ans auparavant, avait lancé un appel pour relancer ces Jeux. Son nom : Pierre de Frédy, dit le baron de Coubertin. Idéaliste et issu d’une famille aristocrate française, Coubertin réalise enfin son rêve et concrétise une idée qui avait déjà vu le jour en Europe au XVIIIe siècle, en plein mouvement des Lumières.
Les Jeux antiques ont vu le jour pour la première fois en 884 av. J.C., dans la ville d’Olympie en Grèce. Tous les quatre ans, une trêve des armes était proclamée. Pendant les six jours que duraient ces Jeux, les athlètes disputaient des compétitions de course, de lancer, de lutte, ainsi que des courses de chars. Mais peu à peu, les guerres et la politique ont engendré le déclin de ces Jeux, qui ont complètement disparu lorsque l’empereur romain Théodose Ier a décidé en 392 de les interdire, sous prétexte qu’ils représentaient une célébration des cultes païens.
Des jeux ressuscités
C’est donc 1500 ans plus tard que les Jeux Olympiques ressuscitent au sein de l’amphithéâtre de la Sorbonne. A l’issue du congrès de Paris, le Comité olympique international (CIO) est créé. C’est Athènes, le berceau des Jeux de l’Antiquité, qui est choisie pour accueillir en 1896 la première édition des Jeux Olympiques modernes.Mais déjà, les problèmes économiques et politiques font leur apparition et seront pour toujours associés à l’image de ce rendez-vous sportif. En 1896, le jeune royaume de Grèce est endetté et un événement comme les JO ne peut que vider davantage les caisses de l’Etat. Conscients que les Jeux ne verront jamais le jour si cette édition n’est pas organisée, les responsables grecs décident de miser sur la simplicité, au lieu de faire dans le somptueux. Le gouvernement grec compte également sur la générosité de quelques personnalités de la diaspora, ainsi que sur les loteries et les ventes de médailles et de timbres commémoratifs. Une fois les difficultés financières surmontées, les organisateurs font face à des problèmes d’ordre politique. L’Allemagne, qui n’était pas conviée au congrès de 1894, refuse de participer à ces premiers Jeux. D’autant qu’une partie de l’opinion française – y compris Coubertin – refuse la participation germanique aux JO, sous prétexte que le souvenir de la guerre de 1870 entre les deux pays est encore frais. En fin de compte, l’Allemagne sera bien représentée à l’édition d’Athènes, ce qui poussera une partie de la délégation sportive française à se retirer. Autre boycott, celui de l’Empire ottoman. La Turquie, qui a occupé la Grèce pendant plusieurs siècles, décide elle aussi de ne pas être présente à ces premières olympiades.
En dépit de ces petits accrocs, le 6 avril 1896, 14 nations et 241 sportifs s’apprêtent à concourir dans 43 épreuves. Après une sobre cérémonie dans l’enceinte du stade panathénaïque rénové, le coup d’envoi est donné. L’après-midi même, l’Américain James Connolly entre dans l’Histoire en devenant le premier médaillé des Jeux modernes, après avoir remporté l’épreuve du triple saut. D’autres sportifs se distinguent lors de cette édition, à l’exemple du Hongrois Alfred Hajos qui triomphe dans deux épreuves de natation. Il avouera plus tard que c’est son instinct de survie qui l’a aidé à réaliser ces performances, puisque les nageurs devaient disputer leurs courses en pleine mer, après avoir sauté d’un bateau. Mais la grande sensation de ces Jeux viendra du Grec Spiridon Louis qui remporte, devant des milliers de compatriotes, l’épreuve du marathon. Un autre Grec doit monter sur le podium, ayant terminé à la troisième place, mais il est disqualifié quand les juges découvrent qu’il a parcouru une partie de la course sur une charrette. Malgré cette tricherie, qui sera la première d’une longue liste, les Jeux d’Athènes se déroulent normalement. Lors de la cérémonie de clôture, où sont distribués des médailles en argent et des rameaux d’olivier aux vainqueurs, le roi de Grèce remercie Pierre de Coubertin pour son initiative. Le nouveau royaume hellénique s’est montré digne de l’héritage de la Grèce antique.
Quatre ans plus tard, Paris accueille la deuxième édition des Jeux Olympiques modernes. Aucune cérémonie d’ouverture n’est organisée, puisque la France a voulu que ces Jeux fassent partie intégrante de l’Exposition universelle de 1900. L’esprit voulu par Pierre de Coubertin n’est pas du tout respecté et les Jeux durent même cinq mois. Le baron, ouvertement sexiste et misogyne, est même scandalisé de voir 22 femmes prendre part aux épreuves. D’ailleurs, la première femme championne olympique de l’Histoire est la joueuse de tennis britannique Charlotte Cooper. Mais le véritable héros des Jeux de Paris est américain et s’appelle Alvin Kraenzlein. Le jeune homme originaire de Milwaukee réussit à rafler quatre médailles en athlétisme, en trois jours seulement. Les Américains vont d’ailleurs briller cette année, mais c’est la France qui termine à la première place du tableau des médailles, vu que beaucoup d’épreuves n’ont connu que des participants français. Ces Jeux s’avèrent finalement être un véritable fiasco et certaines disciplines, à cause de leur côté fantaisiste, disparaîtront lors des éditions suivantes, notamment le 60 mètres sous l’eau ou le 200 mètres nage libre avec obstacles. En 1904, les Jeux Olympiques traversent l’Atlantique. C’est la ville américaine de Saint-Louis, dans le Missouri, qui accueille la troisième édition des Jeux. Comme pour Paris, les compétitions se déroulent sur une période de quatre mois, puisqu’elles font aussi partie d’une Exposition universelle célébrant le centenaire de l’achat de l’Etat de Louisiane. Cette fois, 651 athlètes, dont seulement 6 femmes, participent à la compétition. Pour la première fois, des médailles en or, en argent et en bronze sont distribuées aux trois premiers de chaque épreuve. Les sportifs des Etats-Unis dominent la compétition, à l’image du gymnaste George Eyser qui remporte six médailles, malgré une jambe gauche en bois. Mais si Eyser fait la fierté de son pays, Fred Lorz déshonore quant à lui le sport américain. Après avoir terminé à la première place du marathon, il est rapidement disqualifié puisque les officiels découvrent que Lorz a parcouru une grande partie de la course en automobile !
Les débuts sont timides
Deux ans plus tard, Athènes organise les Jeux à sa propre initiative. Mais ces olympiades ne seront pas reconnues par la Comité international olympique, qui désigne Rome pour accueillir la véritable quatrième édition en 1908.Cependant, l’éruption du Vésuve dans la baie de Naples pousse les Italiens à renoncer à l’organisation des Jeux, qui sont en fin de compte attribués à Londres. Encore une fois, les olympiades s’étalent sur des mois. Pour la première fois, un stade olympique est créé spécialement pour l’occasion. Pour la première fois aussi, les sportifs défilent derrière les drapeaux de leurs pays respectifs pendant la cérémonie d’ouverture. Le protocole cérémonial s’élabore peu à peu, et avec lui les règlements des différentes disciplines. C’est ainsi que la distance officielle du marathon est définitivement établie à 42,195 km. Les 195 mètres ont été rajoutés pour que la course, qui démarre du château de Windsor, se termine juste devant la loge royale du stade olympique. D’ailleurs, c’est l’épreuve du marathon, une fois de plus, qui provoque les plus grandes émotions. A quelques mètres de la ligne d’arrivée, l’Italien Dorando Pietri, jusque-là en tête de course, paraît dans un état anormal et s’effondre d’épuisement. Des officiels le tiennent par le bras et l’aident à franchir la ligne d’arrivée. Cette assistance vaut au coureur italien la disqualification. Plus tard, il recevra de la reine du Royaume-Uni une coupe identique à celle du vainqueur, en récompense de son courage. Cette histoire va contribuer à renforcer la réputation des Jeux, qui gagnent en popularité à travers le monde. En conséquence, 2407 athlètes, dont 48 femmes, participent à l’édition suivante qui se déroule en 1912 à Stockholm, en Suède. Lors de cette édition où tous les continents sont représentés pour la première fois, le chronométrage semi-électrique et la photofinish font leur première apparition. Pour le volet sportif, les chroniqueurs retiendront le match de lutte gréco-romaine en demi-finale entre le Russe Martin Klein et le Finlandais Alfred Asikainen, qui dure 11 heures ! A l’issue du combat, le Russe est tellement fatigué qu’il ne peut jouer la finale. Un autre athlète, l’Américain Jim Thorpe, crée lui aussi l’événement. Originaire de l’Oklahoma, il parvient, par son gabarit impressionnant, à s’imposer dans les deux épreuves du pentathlon et du décathlon. Quelques jours plus tard, un journal américain révèle qu’avant cet exploit, Thorpe avait reçu un salaire pour avoir joué dans un club de baseball. Comme les Jeux Olympiques sont encore réservés exclusivement aux athlètes amateurs, Jim Thorpe se voit obligé de rendre ses deux médailles au CIO pour cause de professionnalisme. Ce n’est que 70 ans plus tard que le Comité olympique restituera ces deux médailles au fils de l’athlète américain. Les Jeux de Stockholm terminés, les athlètes se donnent rendez-vous à Berlin pour l’édition 1916. Mais la Grande guerre éclate en Europe et le bruit des canons coupera pour quelques années le souffle olympique. A la fin de la guerre, c’est la ville d’Anvers, en Belgique, qui est choisie pour accueillir les JO de 1920. Le CIO a voulu rendre hommage à ce petit pays qui a été martyrisé pendant les années de conflit. En même temps, il punit les grands perdants de la guerre et refuse donc la participation de l’Allemagne, de la Turquie, de l’Autriche, de la Hongrie et de la Bulgarie. La Russie bolchévique, quant à elle, refuse de participer à ce rendez-vous qu’elle qualifie de « jeux de petits bourgeois ». C’est le 20 avril 1920 que démarrent les olympiades d’Anvers, avec une cérémonie d’ouverture où le drapeau olympique est hissé pour la première fois. Les symboles se multiplient lors de cette édition, avec l’adoption du serment des Jeux et le lâcher de colombes, image du retour de la paix dans le monde.
Engouement populaire et premières stars
Au milieu des années folles, en 1924, les JO reviennent à Paris. L’engouement pour les olympiades est devenu immense. Plus d’un demi-million de spectateurs assistent aux épreuves et près de 600 journalistes sont accrédités pour couvrir les compétitions, qui sont radiodiffusées pour la première fois. Avec la participation de 3089 athlètes, le comité d’organisation se voit obligé de construire un espace pour accueillir et regrouper tous les sportifs participants. Ce sera en quelque sorte le premier village olympique. Mais tout le monde n’est pas présent à ce rassemblement, puisque la France, encore rancunière, n’accorde pas de visa d’entrée aux sportifs allemands, les seuls bannis de l’événement. Mais l’Histoire va surtout retenir les exploits réalisés par deux sportifs, l’un Finlandais, l’autre Américain. Le premier, Paavo Nurmi, originaire d’un petit port de la Baltique près d’Helsinki, en est à sa deuxième participation aux Jeux Olympiques. A Anvers, il avait déjà remporté trois médailles d’or dans les courses de fond, mais avait raté la première place dans le 5000 mètres. En 1924, le coureur finlandais est décidé à prendre sa revanche. Le 10 juillet, il remporte la médaille d’or du 1500 mètres. Quelques minutes plus tard, il s’aligne pour la course du 5000 mètres, qu’il termine à la première place. Un doublé qui ne sera égalé que 80 ans plus tard par un certain Hicham El Guerrouj. En plus de ces deux médailles, Nurmi remporte à Paris trois autres médailles d’or. Pendant une grande partie du XXe siècle, le Finlandais restera la plus grande légende des courses de fond et de demi-fond. L’autre grande star des Jeux de Paris est l’Américain Johnny Weissmuller, qui brille lors des épreuves de natation en décrochant trois médailles d’or, plus le bronze en waterpolo. Il remportera deux médailles supplémentaires pendant les Jeux suivants et réussira au cours de sa carrière sportive à battre 28 records du monde. Pendant les années 1930, Weissmuller deviendra également une vedette d’Hollywood en incarnant le personnage de Tarzan dans 12 films. Le 12 août 1924, le rideau tombe sur les Jeux de Paris. C’est la dernière édition pour Pierre de Coubertin en tant que président du CIO, lui qui avait décidé avant ces Jeux de tirer sa révérence. L’une de ses dernières réalisations est l’organisation des premiers Jeux Olympiques d’hiver la même année à Chamonix, en France.
Mai 1928, Amsterdam accueille les neuvièmes JO. C’est la première fois que la flamme olympique est allumée dans le stade. Pendant la cérémonie d’ouverture, la délégation grecque défile à la tête des 46 nations présentes. Les Pays-Bas, nation hôte, seront les derniers. Cette tradition fait désormais elle aussi partie du protocole olympique. En cette année 1928, les Etats-Unis sont en plein essor économique et la stabilité politique est de retour en Europe. C’est ainsi que l’Allemagne fait son retour aux olympiades. Les sociétés occidentales ont aussi évolué et les femmes sont de plus en plus représentées aux Jeux. En 1928, elles prennent part pour la première fois aux épreuves d’athlétisme, après avoir participé jusque-là aux sports comme le golf, le tennis ou encore le tir à l’arc. Hormis les sportives, une autre femme fait parler d’elle aux débuts de ces JO. La reine des Pays-Bas, vexée de ne pas être consultée sur la date de lancement des Jeux, boycotte la cérémonie d’ouverture. Mis à part ce petit incident, cette édition connaîtra de beaux exploits sportifs, avec de nouvelles médailles pour Nurmi et Weissmuller. Dans le stade d’Amsterdam, le public savoure aussi la compétition de football qui connaît le sacre de l’Uruguay, futur premier champion du monde. Mais c’est une histoire de canards qui reste l’une des plus belles anecdotes de ces Jeux. Pendant les épreuves de rame, l’Australien Henry Pearce s’arrête en pleine course pour laisser passer une file de canards. Cette galanterie n’affectera pas son résultat, puisqu’il réussit à se qualifier en finale et décroche l’or olympique. A la fin des épreuves, les Américains terminent pour la sixième fois en tête du tableau des médailles.
Ce sont d’ailleurs les Etats-Unis qui accueillent les Jeux suivants, à Los Angeles. Mais le temps de l’insouciance est révolu, la crise financière a frappé et la dépression économique affecte de nombreux pays. C’est dans une Amérique dévastée par le chômage que la ville californienne accueille 1332 athlètes, un chiffre très inférieur aux éditions précédentes. Néanmoins, ce ne sont pas moins de 100 000 spectateurs qui sont présents au stade olympique de Los Angeles pour assister à la cérémonie d’ouverture, le 30 juillet 1932. Mais l’absence de nombreux athlètes a un impact important sur cette édition des Jeux, d’autant que des stars comme le Finlandais Paavo Nurmi seront privées de disputer les JO pour cause de professionnalisme.En l’absence des grands noms du sport, de jeunes talents vont émerger et réaliseront de jolies performances à l’instar du Japonais Kusuo Kitamura, âgé seulement de 14 ans et qui remporte l’épreuve du 1500 mètres nage libre. En athlétisme, la Polonaise Stanisława Walasiewicz remporte le 100 mètres. Rien de plus normal, sauf qu’en 1980, après sa mort, on apprendra qu’elle était hermaphrodite. Le CIO songera alors à lui enlever son titre, avant de se rétracter. Mais les Jeux de 1932 sont surtout connus pour le fair-play de l’escrimeuse britannique Judy Guinness. En finale, elle renonce à la médaille d’or après avoir fait remarquer aux juges qu’ils n’avaient pas comptabilisé deux touches marquées contre elle. Un geste qui incarne parfaitement l’esprit des Jeux Olympiques qui, quatre ans plus tard à Berlin, seront tout simplement détournés à des fins politiques.
La politique s’en mêle
C’est dans une Allemagne sous l’emprise nazie que les athlètes se rendent à Berlin pour disputer les olympiades d’août 1936. Cinq ans auparavant, lors de l’élection de la ville hôte par le CIO, la capitale allemande avait remporté le vote en devançant Barcelone. En 1933, Adolf Hitler accède au pouvoir et ne tarde pas à promulguer des lois racistes et antisémites. Ses visées expansionnistes en Europe inquiètent aussi. Dans ce climat troublé, plusieurs associations et mouvements dans le monde appellent au boycott, et certains gouvernements menacent également de ne pas participer. Seule la république d’Espagne met à exécution ses menaces et s’apprête à organiser à Barcelone des jeux parallèles, les Olympiades Populaires. Mais ce rendez-vous antifasciste destiné aux syndicalistes et aux partisans de gauche ne verra jamais le jour, puisque les horreurs de la guerre civile s’abattent sur l’Espagne. Passé cet épisode, le stade olympique de Berlin accueille le 1er août 1936 la cérémonie d’ouverture des Jeux. Tout a été mis en place pour glorifier l’idéologie nazie et célébrer le triomphe politique et racial du Troisième Reich. En tenue militaire, Hitler rejoint le stade pour assister au défilé des athlètes. C’est la Grèce qui ouvre le bal. En tête, Spiridon Louis, le vainqueur du marathon de 1896, invité spécialement pour l’occasion par les Allemands. Arrivées devant la tribune officielle où se trouve le Führer, les différentes délégations exécutent le salut nazi. C’est au tour des Français, qui créeront la polémique en dressant eux aussi le bras droit pour saluer la tribune officielle. Mais le doute subsistera sur la nature de ce geste, puisque les Français affirmeront que c’était tout simplement le salut olympique, qui s’effectue lui aussi bras tendu. Les Britanniques et les Américains ne laissent aucune place au doute et défilent au pas militaire sans aucun dressement de bras. Un peu plus tard, la cérémonie sera clôturée par l’allumage de la vasque olympique par le dernier relayeur de la torche (une nouvelle idée ajoutée au protocole). Place aux Jeux et à la compétition, qui verront la consécration de Jesse Owens. En l’espace de cinq jours, ce jeune Afro-américain de l’Alabama réussit à obtenir quatre médailles d’or dans autant de disciplines (100 mètres, saut en longueur, 200 mètres, 4 x 100 mètres relais). L’exploit ébranle la propagande nazie sur la supériorité de la race aryenne. D’ailleurs, les chroniqueurs retiendront que, suite à la victoire d’Owens en saut en longueur, Hitler aurait refusé de serrer la main de l’athlète américain. Mais dans ses mémoires, Owens explique qu’Hitler lui a bien serré la main et qu’il a dû quitter le stade précipitamment pour des obligations de travail. Le quadruple champion olympique raconte même que pendant son séjour en Allemagne il a été mieux traité que dans son propre pays et ajoute que, dans l’Amérique ségrégationniste des années 1930, le président Franklin Roosevelt ne l’a jamais salué. Mais les quatre médailles de Jesse Owens ne suffiront pas à donner l’avantage aux USA dans ces Jeux, puisque c’est l’Allemagne qui termine pour la première fois en tête du tableau des médailles. C’est un succès sur tous les plans pour les nazis, qui sont à l’apogée de leur gloire. Même Pierre de Coubertin, vieux et ruiné, est fasciné par la réussite de l’édition de Berlin. Un an plus tard, le père des Jeux Olympiques modernes disparaît suite à une crise cardiaque. Un décès qui n’augure rien de bon pour l’avenir des olympiades, puisqu’en 1939 l’Europe et la planète tout entière sont précipitées dans la guerre la plus sanglante de l’Histoire et les Jeux de Tokyo en 1940 sont tout simplement annulés. Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale que l’esprit des Jeux est rétabli, et Londres est choisie pour accueillir les premiers JO d’après-guerre. En juillet 1948, 4014 athlètes de 59 pays débarquent dans une ville en pleine reconstruction, au point même que certaines délégations arrivent avec leurs propres provisions de nourriture. Les blessures du conflit mondial sont loin d’être cicatrisées, puisqu’encore une fois l’Allemagne n’est pas conviée à ce rendez-vous sportif. Quant aux Japonais, autres grands perdants de la guerre, ils refusent tout simplement de participer. L’héroïne de ces premiers Jeux télévisés de l’Histoire est néerlandaise. Fanny Blankers-Koen décroche quatre médailles d’or en athlétisme et aurait pu en remporter d’autres si le règlement ne limitait pas le nombre d’épreuves auxquelles un athlète peut participer. Malgré les résultats moyens des Jeux de Londres 1948, l’essentiel pour le monde olympique est que la paix soit revenue dans une Europe encore meurtrie. Mais cet espoir aura été de courte durée puisque le monde plonge rapidement dans la Guerre froide. C’est donc dans une atmosphère tendue que démarrent les Jeux Olympiques d’Helsinki en 1952. L’Union soviétique fait son apparition pour la première fois depuis la chute de la Russie tsariste en 1917. Les Allemands sont là aussi, après avoir été exclus de l’édition précédente. Pour éviter tout clash entre les pays occidentaux et ceux du bloc communiste, les organisateurs divisent le village olympique en deux parties. La compétition entre les deux blocs se poursuit sur le terrain, puisque les Etats-Unis et l’Union Soviétique raflent à eux deux la majorité des médailles. C’est la naissance de la rivalité sportive entre les deux grandes puissances de la planète, qui va se poursuivre jusqu’à la disparition de l’URSS. Entre-temps, ce sont les Soviétiques qui dominent les olympiades de Melbourne 1956. Mais la domination russe est éclipsée par le boycott de l’Espagne, de la Suisse et des Pays-Bas, qui protestent contre l’intervention militaire de Moscou en Hongrie. Ce ne seront pas les seuls boycotts de l’édition, puisque l’Égypte, l’Irak et le Liban refusent d’y participer à cause de la présence d’Israël et de la crise du canal de Suez. La République populaire de Chine sera la dernière nation à se retirer suite à la participation de Taïwan. A l’opposé, les Allemands, qui depuis 1949 sont divisés entre deux pays, choisissent de participer au sein d’une équipe combinée et sous un seul drapeau.
Radi, le pionnier marocain
Quatre ans plus tard, c’est Rome qui accueille les JO de 1960. La ville éternelle saisit l’occasion pour organiser certaines épreuves sur des sites historiques. Pour la deuxième fois d’affilée, l’Union soviétique termine en tête du tableau des médailles, grâce notamment aux deux gymnastes Boris Skhakhlin (sept médailles) et Larissa Latynina (six médailles). Côté américain, on assiste à la naissance d’une légende du XXe siècle, puisque ce sont les premiers Jeux du boxeur Cassius Clay, alias Mohamed Ali. C’est aussi une première pour un certain nombre de pays qui viennent d’acquérir leur indépendance, parmi lesquels le Maroc. Le royaume, qui a recouvré sa souveraineté en 1956, n’a créé son comité olympique qu’en 1959. La même année, il rejoint le CIO. A Rome, les Marocains font leur baptême du feu avec 50 athlètes dans 10 disciplines et, déjà, le royaume décroche une médaille, grâce à un natif d’Errachidia, le marathonien Abdeslam Radi. Après une carrière militaire dans l’armée française, ce spécialiste des courses de fond enchaîne les victoires dans les compétitions régionales de cross à la fin des années 1950. Dans la capitale italienne, Radi s’aligne sur la ligne de départ avec 62 autres marathoniens. Au bout du vingtième kilomètre, le Marocain se détache du reste des coureurs avec l’Ethiopien Abebe Bikila. Ils restent ensemble jusqu’au dernier kilomètre, lorsque Bikila déclenche un sprint final qui lui permet de rentrer premier au pied du Colisée. Abdeslam Radi termine deuxième, 25 secondes après. Un exploit qui permet au drapeau marocain d’être hissé pour la première fois dans les arènes des Jeux. Mais ce premier héros olympique marocain ne recevra pas la reconnaissance qui lui est due dans son pays : il part pour la France, où il lavera des voitures, puis deviendra gardien de stade, avant de terminer sa vie dans la misère. Néanmoins, Abdeslam Radi reste dans l’Histoire l’athlète marocain qui a su montrer la voie à ses compatriotes, même si la deuxième médaille du pays ne sera décrochée que 24 ans plus tard.
Par Bassam Nejjar