Le concept d’industrie culturelle trouve son origine dans les travaux des philosophes allemands T. Adorno et M. Horkheimer, membres de l’École de Francfort. Ils ont introduit ce concept pour la première fois dans leur article publié en 1944, intitulé Dialectique de la raison, où ils analysaient l’impact de la culture de masse dans les sociétés industrielles modernes. Dans cet article, Adorno et Horkheimer critiquent la transformation de la culture en industrie, soulignant que les produits culturels, tels que la musique, le cinéma et la littérature, sont devenus des marchandises standardisées produites à grande échelle pour réaliser des profits, plutôt que des créations artistiques uniques et authentiques. Selon eux, cette transformation commerciale réduit la valeur critique et émancipatrice de l’art et de la culture, contribuant ainsi à maintenir le système social en place et à renforcer les structures de pouvoir capitalistes. Le terme industrie culturelle dans cette critique renvoie à l’idée que la culture, autrefois considérée comme un domaine d’expression créative, est désormais intégrée dans une logique commerciale et technique, avec une tendance à uniformiser les produits culturels et à les rendre plus commercialisables et rentables. Au fil du temps, cette expression a évolué et s’est diversifiée. À partir des années 1970 et 1980, le concept des industries culturelles a été réévalué et redéfini de manière plus neutre dans des contextes politiques et économiques, pour désigner tous les secteurs économiques produisant et distribuant des produits culturels (cinéma, télévision, édition, musique, etc.).
Les industries culturelles se positionnent comme des intermédiaires entre les œuvres artistiques et le grand public, promettant d’apporter la culture à un public plus large. Cependant, cette large diffusion se fait souvent au prix de la simplification et de l’uniformisation. Les œuvres doivent être consommables par la majorité, ce qui favorise la production de contenus lisses, divertissants et faciles à comprendre, évitant les questions profondes ou les formes artistiques exigeantes. Les industries culturelles cherchent souvent à plaire à la majorité pour maximiser les profits, et ce processus conduit à l’uniformisation des produits culturels.
Les produits culturels ne sont pas conçus comme des œuvres d’art porteuses de significations profondes ou critiques, mais comme des marchandises destinées à une consommation rapide et à un remplacement continu par de nouveaux produits.
La culture devient ainsi comparable à n’importe quelle autre marchandise de consommation, soumise aux lois de l’offre et de la demande, entraînant l’uniformisation non seulement des formes artistiques, mais aussi des idées qu’elles véhiculent. Ce mécanisme crée une tension : alors qu’elles prétendent offrir une forme de libération par l’accès à la culture, les industries culturelles encouragent en réalité l’appauvrissement de la pensée critique. En effet, la culture de masse tend à réduire la valeur des œuvres à leur seule dimension de divertissement, éliminant toute possibilité de contestation ou de critique sociale. Les produits culturels se multiplient, mais l’expérience culturelle devient plus superficielle : au lieu d’inciter à la réflexion, l’art devient un simple divertissement qui anesthésie la pensée critique.
Ainsi, les industries culturelles opèrent selon une logique contradictoire : elles prétendent œuvrer à la démocratisation de l’accès à la culture, mais en réalité, elles produisent une forme de culture uniformisée qui encourage la consommation de masse plutôt que la pensée critique. C’est cette nature malveillante à laquelle elles font référence, où la culture, au lieu de libérer l’esprit, devient un outil d’aliénation sociale et d’uniformisation.
Ainsi, les industries culturelles relèvent des préoccupations du marchand, du producteur (celui qui possède l’argent et les moyens de production) et non des créateurs.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane