Le ministère de l’Enseignement supérieur prépare pour l’entrée universitaire 2014/2015 une nouvelle grille de programmes pour les facultés à accès libre. On parle de nouveau d’une réforme. Mais, en réalité, il ne s’agit que d’un réaménagement des cours. Comme les précédents, ce dernier introduit quelques «nouveautés» qui suscitent plus de grogne que d’enthousiasme. L’atmosphère qui accompagne ces changements programmés est faite d’amertume, de défaitisme et d’une mentalité de laisser-faire, laisser-aller. Tout le contraire de ce qui est nécessaire, quand on a l’ambition de réformer un secteur stratégique. Au niveau formel, tout y est : des notes de cadrage, des grilles de programmes, des descriptifs de cours et des cahiers de normes. Même des séances de «concérations» avec des chefs de départements ont été organisées dans différentes villes universitaires. Pour les départements d’histoire, c’est Fès qui a été la ville-hôte. Alors, qu’est-ce qui se passe ?
Il semble qu’un grand malentendu s’est installé entre les acteurs principaux du champ universitaire. Depuis 1979, un dialogue de sourds a plombé toutes les tentatives de réforme. Le corps enseignant plaidait pour une réforme globale touchant la recherche scientifique, les orientations pédagogiques, le statut des enseignants-chercheurs, et la démocratisation des institutions universitaires, alors que les ministères de tutelle ne voulaient traiter que du pédagogique. Sur le fond de cette opposition fut promulguée la «réforme» des années 80 (1982, pour les facultés des lettres). Il a fallu plus de deux décennies pour convenir qu’elle est un modèle d’aberration et de rigidité administrative. Ensuite, les protagonistes allaient s’installer dans une sorte de bras de fer non productif de plusieurs années. Les ministères concernés, dont celui de l’Intérieur, exigeaient d’abord la «réforme pédagogique». Le corps enseignant, représenté par son syndicat le SNE-SUP, réclamait en premier lieu «la réforme du statut» avec ce qu’elle induit au niveau de la valorisation des salaires. Des générations d’étudiants ont été sacrifiées sur l’autel de l’entêtement des uns et des autres.
Les rares discussions qui ont accompagné le travail de la COSEF (Commission spéciale éducation-formation) ont essayé d’initier un débat de fond. En dépit de l’importance des questions soulevées, ce dernier est resté marginal. Ainsi, des problématiques telles que la centralité de la connaissance au lieu de celle de l’identité, la simultanéité des réformes de tous les cycles de la scolarité, les liens entre recherche scientifique, formation pédagogique et évolution globale de la société, ou encore l’indexation du coût de l’enseignement au niveau d’excellence des formations…, n’intéressaient qu’une poignée d’enseignants-chercheurs. La charte de la COSEF, au-delà de l’effet d’annonce, a été marginalisée au moment de la rédaction de la loi-cadre 01/00 réglementant l’enseignement supérieur.
En 2003, la réforme LMD «3-5-8» (licence – master – doctorat) a été imposée à l’université marocaine, dans la précipitation. Ce système européen « sophistiqué » a été implanté au Maroc une année avant la France ! Le LMD marocain prit forme au sein d’un chantier d’improvisation permanente. Une architecture modulaire branlante, une inflation d’examens, une charge horaire hasardeuse, un encadrement pédagogique insuffisant et un contenu ancien, reversé dans une grille nouvelle. La réforme qui devrait être innovante s’est révélée comme un système handicapé par des lourdeurs inutiles.
Aujourd’hui, on réajuste de nouveau, on abandonne les modules d’ouverture qui permettaient d’établir des passerelles entre champs disciplinaires. Chaque formation se recroqueville sur elle-même. On réduit le volume horaire de certaines matières, on les regroupe avec d’autres, sans étudier les incidences. On impose un tronc commun de deux années, dont l’architecture et le descriptif des cours sont décidés par le ministère. Avec ces réaménagements, on revient à un enseignement directif, cloisonné, figé, qui inhibe toute motivation ou innovation. On est presque revenu à la case 1982 ! La réforme des contenus, l’autonomie des universités et la production de l’excellence marocaine deviennent de nouveau des mirages. Des compétences scientifiques et pédagogiques marocaines existent. On ne leur fait pas appel. Chaque champ disciplinaire a son association professionnelle. Pour l’Histoire, c’est l’association marocaine de recherche historique (AMRH). Imagine-t-on une réforme des contenus sans l’apport de ces associations ? Imagine-t-on une insertion dans l’espace universitaire international sans une refonte globale des structures et une sérieuse volonté de recrutement d’un corps enseignant de qualité ? Une réforme de qualité ne se fait pas à la va-vite, ne préfère pas le disponible au compétent et ne se mène pas avec des calculs d’épicier. Il faut se donner le temps de solliciter les compétences et de les écouter. C’est une question de stratégie et non de bricolage.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane