Le Maroc actuel se pose la question de son arabité, de son amazighité, de la légitimité de son occidentalisation, mais on semble oublier un paramètre essentiel : pendant plus de dix siècles, le Maghreb Extrême fut intimement lié à l’espace subsaharien, dont il était le principal partenaire. Zamane se propose ici, à travers l’étude des épopées, du commerce, de l’imprégnation religieuse, des transferts de populations et de la fameuse conquête d’Ahmed El Mansour, de retracer cette histoire complexe et mouvementée. Du VIIIèmè siècle à nos jours, des structures apparaissent intangibles. Du mouvement almoravide aux zaouïas contemporaines, des comptoirs maghrébins de Malli aux investissements de la BMCE, de la traite esclavagiste à l’immigration estudiantine, nous tentons ici d’embrasser ce vaste univers, et de restituer au Maroc son membre méridional : l’Afrique.
C’est un fait, le Maroc est tourné économiquement vers l’Occident, tandis qu’il puise ses racines culturelles au Moyen-Orient. Pourtant, l’Afrique reste une ombre dans la mémoire des Marocains, persistante, parfois dérangeante. Cette présence est évidente. Elle est physique, musicale, littéraire, architecturale et spirituelle.
Tout commence avec la géographie. Dans l’Antiquité, le Maroc n’est que l’extrême occident du continent libyque des Grecs. Face à lui, les riches plaines ibériques attirent les Orientaux depuis trois millénaires. Ces confins de Berbérie au relief torturé ne pouvaient éclore que par la découverte de l’autre rive du Sahara, mer de sable que l’Antiquité considérait sans bornes. La Maurétanie Tingitane des Romains devait faire le pont, par le « canal d’Espagne » (le détroit de Gibraltar), entre Europe occidentale et Moyen-Orient. Mais il lui manquait un point cardinal, un pied pour tenir en équilibre dans la géopolitique des relations humaines. La découverte du Bilad As Sudan, le Pays des Noirs, consacrera le début de son histoire nationale. D’autant que l’introduction du dromadaire, au VIIe siècle, va rompre l’isolement du « Pays de Tanger » : désormais, il sera possible de traverser la mer de sable régulièrement et rapidement, pour s’approvisionner directement au cœur du continent, via le commerce.
Les « Africains », dans la géographie de la Renaissance européenne, ce sont les Berbères et les « Maures » arabophones, par opposition aux « Arabes », ces bédouins venus d’Orient. Les Berbères sont présents des rives des fleuves Sénégal et Niger jusqu’à la côte méditerranéenne. C’est cette unité culturelle et linguistique qui fait du Soudan le premier voisin du Maghreb d’alors. Lorsque l’on quitte la barrière de l’Atlas, limite climatique sud du Maghreb méditerranéen, et que l’on s’enfonce dans les sables après un mois et demi de marche, une bande verdoyante apparaît à l’horizon. C’est la « rive » sud de l’océan de dunes, la « côte » du Soudan : le « Sahel ».
Dossier réalisé Par Simon Pierre
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